Le Premier ministre togolais a rendu le tablier après quelques semaines d’hésitations. Il devrait être remplacé d’ici le 06 juin, probable date d’investiture du président Faure Gnassingbé. Victoire Dogbé Tomegah, Agbéyomé Kodjo, Semondji Djossou, Georges Aïdam et Robert Dussey se font « prétendants » alors que le sortant, Kwesi Ahumey-Zunu espère un miracle. Mais la surprise pourrait venir d’ailleurs. Ils sont ministres et anciens opposants. Ils pensent tous à la primature en se rasant.
Seul Faure Gnassingbé devrait nommer l’un d’entre eux. Chacun a ses atouts et ses handicaps mais derrière chaque postulant, se cache un réseau mafieux ou une confrérie malsaine, Afrikaexpress sonde le terrain et tend ses oreilles entre rumeurs et petits secrets maisons. Semondji ? Pourquoi pas, son nom revient assez souvent mais ses limites sont à la taille de sa fulgurante montée. Actuel ministre de la Planification, il jouissait de l’estime du chef de l’Etat jusqu’à ce qu’une note des services secrets lui attribuent quelques « magouilles » gentilles.
Il vient des Plateaux, une région traditionnellement préférée par Faure Gnassingbé pour choisir son chef de gouvernement. Semondji Djossou a au sein de l’exécutif une image plutôt « pas mal« . Ministre approximatif et techniquement parfois défaillant, selon des témoignages de certains de ses collègues, cet arriviste du Moyen Mono doit l’essentiel sa carrière aux bonus accumulés dans l’ombre d’un opérateur économique à la renommée sulfureuse. La crainte ?
Qu’il soit redevable au point de se compromettre et avec lui, l’essentiel de son gouvernement pour son cousin lointain, Victor James Sossou. Ce dernier est à la tête d’une société de BTP qui s’est illustrée dans les pistes rurales avant de se voir octroyer dans l’opacité, le bitumage de la route Notsè-Tohoun. Un coup d’essai pour une voie aussi stratégique. En effet, plusieurs œuvres réalisées précédemment par Midnight Sun n’ont pas tenu le coup comme la Cour d’appel de Lomé et le Palais du Renouveau à Cacavéli qui ont perdu l’essentiel de leurs accessoires : toilettes, canalisations et lot de fissures.
La nomination de son poulain pourrait être un chèque blanc aux mains de son réseau avec des risques que Faure Gnassingbé préfèrera éviter suite à son élection catastrophique. Pis encore la communauté internationale et les institutions financières ont les yeux braqués sur son pays. Le duo Houngbo-Sossou avait été celui de toutes les magouilles. Un aspect qui met mal à l’aise un postulant qui aurait l’avantage de venir de la région la plus importante du pays en matière de voix électorales pour Unir, le parti au pouvoir. Semondji Djossou devrait se battre dur pour se maintenir dans un gouvernement que Faure Gnassingbé voudra « serré« . Son mentor multiplie contacts et coups de pouce pour le voir à la primature.
Dussey ? Robert Dussey est le maillon faible de la liste qu’il n’a rattrapé qu’au bénéfice de rumeurs parties probablement de son cabinet. Professeur de philosophie et catholique invétéré, il doit son salut aux hasards des négociations entre l’opposition togolaise et le parti au pouvoir, sous l’égide de Sant’Egidio dont il est membre actif. Il a l’avantage d’être à l’écart des scandales qui ont émaillé le règne de Faure Gnassingbé. Déjà approximatif ministre des Affaires étrangères qui a fait une première partie dans le tourisme d’Etat (voyageant tout le temps), il lui faudrait plus pour convaincre. De Cuba à l’Estonie, de la Lituanie aux Îles mystérieuses des caraïbes perdus, « il se balade bien, loupant souvent l’essentiel », selon des proches du président togolais.
M. Dussey pourra tout de même compter sur une partie de la presse à lui acquise qui fera la propagande d’un ministre qui a du mal à convaincre les puissances et se contente, en bon ancien séminariste, de tours au soleil du monde. Ce qui permet au philosophe qui n’a pas grande expérience dans la diplomatie, de passer plus de temps entre deux avions que dans son bureau. Il maintient la diplomatie au rang de conciliation et de soutiens fantoches, si ce n’est s’opposer avec la Gambie, comme le Togo l’a fait au sommet de la Cédéao à Accra, à la limitation des mandats contenu dans le Protocole de démocratie et de bonne gouvernance. Le disciple du Christ qu’il fut est vite devenu l’apôtre de Faure Gnassingbé, défendant comme il le peut, l’indéfendable. Sauf miracle, il ne sera pas Premier ministre.
Dogbé ? Son parcours international et son expérience aux Nations-Unies la prédestinent à un tel poste. Plus encore, Victoire Dogbé Tomegah a réussi à se mettre à l’écart des scandales et apparaît comme l’une des femmes les plus saines d’un système qui n’a d’honnêtes que de rares brebis galeuses. Elle a pourtant plusieurs handicaps. Elle est originaire de la région maritime alors que le chef de l’Etat a souvent préféré un Premier ministre issu des plateaux, en tout cas jusque-là. Bien qu’elle soit la ministre qui manipule le plus de budget après celui des finances, elle n’a pu, lors de la présidentielle d’avril dernier, faire gagner son parti dans le Vo, sa préfecture d’origine. Pire encore, les rumeurs de la presse locale qui la placent parmi les maitresses préférées du président de la République mettent à mal son image dans l’opinion et créent contre elle la haine des rivales et autres prétentieuses de grâces présidentielles.
Mme Dogbé a aussi mal géré des budgets parallèles de communication qu’elle s’est octroyée en tant que directrice de cabinet du Chef de l’Etat et a créé, à force de trop durer, des réseaux parallèles qui s’arrogent des facilités financières sous prétexte de rendre tels ou tels services, souvent aléatoires, toujours insaisissables. La pléiade de membres de sa famille au cabinet du ministère du Développement à la base avec sa propre sœur comme secrétaire, son frère chauffeur et ses oncles et tantes ici et là, génère une ambiance invivable de népotisme. Cette accumulation de directrice de cabinet-ministre de développement a souvent dérangé dans les chancelleries au point que l’ancien ambassadeur de France au Togo, Nicolas Wanery, avait exprimé quelques fois son « incompréhension« . A la tête d’un des portefeuilles les plus lourds (jeunesse, emploi des jeunes, développement à la base), elle est directrice de cabinet avec rang de ministre. Une situation que Faure Gnassingbé entend régler en nommant éminemment un directeur de cabinet. Mme Dogbé n’a aucun soutien de réseau, compter sur sa promiscuité intime avec le président ne suffira pas pour la propulser à la primature, mais elle y pense en se rasant le matin, pardon, en se maquillant à l’aube.
Ahumey-Zunu ? L’ex-Premier ministre a le mérite de s’être entendu avec Faure Gnassingbé pendant plus de trois ans, ce n’est pas donné. Dépourvu de pouvoir, Kwesi Ahumey-zunu n’a pu déranger les ministres proches du ‘’patron’’, favorisant une fragile cohésion gouvernementale. Son retour est improbable pour plusieurs raisons dont la plus importante est sa santé déficitaire. Ses récentes arrogances à l’égard des syndicalistes et sa gestion de la crise de l’éducation sont apparues comme maladroites. Le Chef de l’Etat a dû désapprouver, sur le sujet de l’éducation nationale, ses dernières propositions. Pendant son règne, il a aussi fait de son cabinet celui de grosses affaires. Dans le scandale de numérisation de la télévision nationale, il a eu sa part du gâteau avec Générale d‘Afrique, la société prestataire.
Edem Kodjo, son ancien maitre et qu’il aurait malmené pendant ses trois années et demi de gloire, multiplient réseaux et contacts pour obtenir de la tête de celui qui fut cadre dans la CPP, son parti politique et qui, aujourd’hui, est traité de félon. Plusieurs ambassadeurs ont vu en lui un Premier ministre rigide qui n’a « rien fait pour faire avancer la question des réformes constitutionnelles et institutionnelles« . Et, c’est sans compter avec sa femme, journaliste à la télévision nationale qui fut Première ministre bis dans l’ombre d’un homme qui n’a pu résister à ses fantasmes et injonctions.
Aïdam ? Un palmarès, il a gagné en deux ans, deux élections : les législatives de 2013 avec un score historique et la dernière présidentielle contestée. Un avantage, il vient de la région des Plateaux. Un atout, il a été directeur de cabinet de la Primature, dans un contexte plus complexe que maintenant et s’en est sorti haut les mains. Georges Aïdam est le patron du parti au pouvoir, l’adjoint du président de la République à la tête de Unir. Il a un secret, sa discrétion. Accumulant pouvoir et contrôle du parti, il a gardé sa fausse humilité et surtout, « a toujours rendu compte à qui de droit » et c’est ce qui va peut-être payer. « Le président aime le fait qu’il ne garde rien pour lui, il rend compte de tout, au fur et à mesure« , constate un influent ministre qui n’écarte pas qu’il succède à Ahumey-Zunu. Dans un conflit sous carpe qui l’oppose à deux autres réseaux du parti, malgré qu’il ait le soutien du président, ceci peut être une bonne porte de sortie pour lui. Mais dans l’entourage du président, on dit qu’il est pressenti pour une autre mission plus « noble et avantageuse« . Si aucun postulant ne tient la base au final, il pourra être le bon recourt, mais celui de transition pour cette période qui ne sera pas de tout repos. Sa distance avec Ingrid Awadé, de plus en plus crainte par les intimes de Faure Gnassingbé, peut être un atout de taille. Mais cet ancien du Comité d’action pour le renouveau (Car) est parfois accusé d’avoir profité de son ancienne formation politique et d’être parti au bon moment, pour se mettre au service de Faure Gnassingbé qui lui voue « amitié et respect » selon plusieurs sources concordantes. Agbéyomé ? Mensah Agbéyomé Kodjo aurait eu toutes les chances si l’histoire n’était pas têtue. Il est le plus expérimenté de tous mais aussi le plus connu. Ancien directeur du Port autonome de Lomé, ancien ministre de la jeunesse, ancien Premier ministre et ancien président de l’assemblée nationale togolaise, il ne lui manquait que la magistrature suprême.
Mais, il postule sans le clamer haut, à la primature. Il pourra, pour se faire, compter sur le résultat obtenu par le président togolais dans sa préfecture d’origine, le Yoto, seule circonscription électorale du midi où Unir a eu un honorable score, près de 2/3 des électeurs. Il y a contribué en faisant une campagne de proximité. Disposant, à l’international d’un immense réseau, ce franc-maçon invétéré pourra être l’épouvantail qui adoucira en partie, l’image sans cesse abîmée de Gnassingbé fils qui sort une fois encore d’un scrutin contesté. Il sera le Premier ministre « non cacique » parce que ne venant pas du parti au pouvoir. Il pourra aussi être celui du rapprochement entre la vieille classe des barons et la nouvelle avec lesquelles il entretient de bonnes relations. Dans l’armée, moult officiers le rêvent à la tête du gouvernement. Mais malgré le soutien de Ingrid Awadé, tête d’une mystérieuse confrérie d’intérêt et de combats qui rôdent autour de Faure Gnassingbé, Agbéyomé Kodjo fera face aux critiques de l’opposition qui l’accable de « traitre » et de « vendu« . Le massacre de Fréau jardin du 25 janvier 1993 qui lui ai attribué à tort ou à raison, peut refaire surface. Or, Faure Gnassingbé ne veut pas d’un Premier ministre qui, par sa posture, deviendra très vite un Vice-président. Mais l’intéressé qui maitrise les rouages du pouvoir devrait s’en sortir pendant que son entourage crie sans convaincre « qu’il a changé »…
Jusqu’à ce jour, aucun des prétendants cités n’a été consulté. Ce qui fait penser que soit le président togolais connaît déjà son Premier ministre, qu’il avisera aux dernières heures, soit, il prend des attaches pour en ramener un de l’extérieur. Aux dernières nouvelle, Faure Gnassingbé préfère surprendre par la nomination du prochain chef du gouvernement. Seule certitude jusqu’alors, il ne voudrait pas d’un cacique de Unir. Il aurait envisagé de débaucher un proche de Jean-Pierre Fabre, peine perdue. Malgré la liste de personnalités qui se bousculent pour le poste, la probabilité d’une surprise est très forte.