Togo - Dans un document rendu public le 10 novembre dernier et intitulé « Rapport de l’enquête sur l’incendie criminel des marchés du Togo dans les nuits des 10 au 11 janvier 2013 à Kara et 11 au 12 janvier 2013 à Lomé », le CST (Collectif Sauvons le Togo) désigne plusieurs hautes personnalités comme les instigateurs et les auteurs de ces incendies. Ces graves accusations paraissent surréalistes d’autant plus qu’elles ne sont étayées par aucun élément ou fait probant, mais semblent reprendre l’essentiel des rumeurs ayant circulé dès les premiers jours de la survenance de ces évènements.
Ils seraient huit (8) personnalités- pas des moindres- à avoir planifié, organisé et exécuté les incendies criminels qui ont ravagé dans la nuit du 10 au 11 janvier 2013 le marché de Kara et dans la nuit du 11 au 12 janvier, celui du grand marché de Lomé, selon les accusations portées par les responsables du CST. Sont ainsi indexés comme instigateurs :
Mme Ingrid AWADE, Directrice générale des Impôts
Le Général Mohamed TITIKPINA, Chef d’Etat major général des Forces Armées Togolaises
Le Colonel Félix KADANGA, Chef d’Etat major de l’Armée de Terre
Le lieutenant colonel Yotroféi MASSINA, ex Directeur de l’ANR (Agence Nationale de Renseignement)
Mr Raoul BASSAYI, Directeur général de l’entreprise de bâtiments et travaux publics CENTRO
Le Colonel Bawoubadi BAKALI, préfet de la Kozah
Mr Kogoè AKRIMA, Directeur général de la SALT (Société Aéroportuaire de Lomé Tokoin)
L’officier de police KPEMISSI.
A l’exception de monsieur KPEMISI, tous les accusés sont de très hautes personnalités civiles ou militaires du Togo. Leur appartenance quasiment tous à l’ethnie kabyè est retenue par le rapport comme un des facteurs les ayant décidé à la commission de ces actes. Ce qui fait de la sortie des responsables du CST un acte qui ne saurait être considéré comme anodin mais d’une grande ampleur avec inévitablement des conséquences politiques et des suites judiciaires.
En effet, après de telles accusations, le Procureur n’aura d’autres choix que d’écouter les auteurs de ce rapport, dont certains sont inculpés dans le cadre de cette affaire, pour qu’ils mettent à la disposition de la justice les éléments dont ils disposent. En attendant, lorsqu’on parcours les dix-neuf ( 19) pages du document, l’on est surpris par la vacuité des éléments présentés qui, loin d’être probants, sont insuffisants pour porter publiquement des accusations d’un tel niveau et les assumer politiquement puisque pas moins de six (6) partis politiques l’ont signé.
ENQUETE OU COMPILATION DE RUMEURS :
L’essentiel des éléments présentés dans le rapport comme étant le fruit des investigations du CST fait partie du contenu des rumeurs dont bruissait Lomé dès le lendemain des faits. Au surplus, une partie de la prétendue liste des auteurs et commanditaires aujourd’hui reprise, a été publié depuis le 22 avril dernier par un blog animé par un certain nombre de personnes cachées derrière le pseudo commun de Matthieu Cichoki, spécialisé dans la publication de fausses informations et dont la particularité est les attaques personnelles et les injures. Il citait comme source « un vaillant fils du Togo, un ancien officier des FAT, favorable à l’alternance politique au Togo et soucieux de montrer aux Togolais son patriotisme. » A l’époque, les ministres Solitoki ESSO, Gilbert BAWARA, Elliott OHIN, et même Gilchrist OLYMPIO avaient été nommément indexés comme faisant partie de la conspiration criminelle. Ces noms et cette thèse, avaient été repris et conforté par un journaliste, qui n’en était pas à ses premiers pseudos révélations près, au sortir d’une des marches hebdomadaires du CST.
Sur les exécutants, le rapport se veut précis en désignant le Colonel Félix KADANGA comme celui sous la direction de laquelle un commando de 7 « artificiers, militaires professionnels »aurait été placé. Quant à leurs noms, on n’en saura rien. Pas plus que ceux présentés comme des « miliciens du parti UNIR/RPT », « tous soigneusement sélectionnés.» Tout juste apprend-t-on que tout ce beau monde s’était retrouvé dans le dernier trimestre ( sic) de l’année 2012 à Kara en plusieurs réunions pour « planifier le complot des incendies.» La fuite serait venue de ces réunions ; fuite qui ne donne pourtant pas des éléments précis : date, heure, lieu, personnes présentes, interventions de chaque acteur etc.
Il faut se rappeler qu’en 2012 , le CST avait déjà publié une liste qui s’avérera erronée de noms dans l’affaire de la perturbation d’une de ses marches dont le point de départ était fixé à ADEWUI, par des personnes munies d’armes blanches. En effet, Charles PASSOU alors désigné publiquement par Me Zeus AJAVON comme le meneur de ces mouvements se trouvait ce jour-là à des milliers de kilomètres de Lomé, à Paris ; comme plusieurs autres qui étaient absents de la capitale ou malades.
Au demeurant, le seul tort de la plupart des personnes accusées semble être leur proximité avec la Directrice des Impôts. Ainsi, à la lecture du rapport, on ne voit quel a été l’apport ou la participation dans la survenance des faits d’un Raoul KPATCHA, affublé d’un « bras droit de Mme Ingrid AWADE » comme cela en soi, le désignait comme auteur ; ou d’un Didier BAKALI, également désigné simplement comme intime de Mme AWADE etc. Comment ces personnes ont-elles été impliquées dans les incendies ? Rien n’est dit.
UN MOBILE PEU CREDIBLE :
Pour les responsables du CST, le mobile des incendies serait la volonté de la Directrice des impôts, de faire réaliser au cœur de la vieille ville de Lomé, un grand centre commercial, à l’instar de ceux d’Accra et de Naïrobi. Face aux difficultés rencontrées pour acquérir le site initialement envisagé, elle aurait jeté son dévolu sur la place du grand marché. Il s’agirait de faire d’une pierre deux coups : récupérer le site et affaiblir financièrement l’opposition qui tirerait ses sources de financement des contributions des femmes du grand marché.
Mais à l’analyse, la démonstration emporte difficilement adhésion. Pour plusieurs raisons.
D’abord, il est difficile de croire que Mme AWADE, aussi puissante qu’elle fût, ou avec autant de pouvoir que l’opinion lui prête, décide dans une démarche purement mercantile et de profits, de brûler les plus grands marchés et poumons du pays ; portant ainsi de graves atteintes à une économie en pleine relance après avoir été plusieurs années exsangues. D’autant plus qu’elle est aux premières loges en tant que directrice des impôts pour être au courant de cette évolution.
Et pour cette entreprise criminelle à but lucratif, elle mobilise non pas des seconds couteaux ou des pieds nickelés, mais ni plus ni moins que le Chef d’Etat Major des Forces Armées Togolaises, le commandant de la FIR (Force d’Intervention Rapide), l’un des régiments les mieux équipés, le patron des renseignements etc... Pour mettre en place non pas un système de mise à feu professionnel, mais un modus operandi artisanal comme le démontre le rapport des experts français.
Ensuite, l’enquête du CST révèle plus qu’un paradoxe, une vraie contradiction dans ses démonstrations. En effet, comment Mme AWADE, elle –même Directrice générale des impôts, capable de mobiliser dans une entreprise criminelle, le Chef d’Etat major général, le commandant de la FIR, le patron des renseignements, le très écouté ex-aide de camp du Président de la République, le chef d’une des plus grandes entreprises de BTP, ou encore le responsable de la société aéroportuaire au centre des activités de l’aéroport Gnassingbé Eyadéma, peut-elle se retrouver en difficultés « face à d’autres barons » dans l’acquisition d’un simple immeuble ? Un tel niveau de conspiration avec des personnalités d’une telle influence, qui font partie de la crème des dirigeants du pays, suppose un haut degré de pouvoir, incompatible avec l’idée d’une concurrence sur l’acquisition d’un terrain au cœur d’un ambitieux projet commercial et dont l’existence n’est d’ailleurs pas établie. A ce stade, beaucoup d’allégations et de commentaires, pas une seule preuve ni de témoignage.
Enfin, et ce n’est pas la dernière des raisons, quelque soit l’ambition, le Grand Marché de Lomé ne peut disparaître au profit d’un quelconque projet. Carrefour commercial, situé stratégiquement en plein cœur de Lomé, à quelques minutes de la frontière du Ghana et à peine 1 heure de celle du Bénin, il fait partie du patrimoine togolais et contribue pour une grande part à la richesse du pays. A ce titre, il ne peut être délocalisé. Ou encore moins lui substituer un centre commercial. L’expérience du marché de Hédzranawoé est là pour le prouver que les femmes tiennent à Adawlato ; pour des raisons historiques mais surtout pour des motivations commerciales. Et ça, Mme AWADE comme les autres accusés le savent bien pour ne pas s’engager dans une telle entreprise.
TROUBLER LA VISITE OFFICIELLE DE FAURE A PARIS:
La publication de ce rapport d’enquête qui visiblement n’en est pas un, amène plusieurs lectures.
Sur le timing : Pour expliquer la date de la publication de ce rapport, le CST évoque les menaces qui l’auraient retardée. Les circonstances ont-elles changé ? Ont-ils des garanties aujourd’hui pour publier ce rapport malgré les menaces ? Silence sur ces points. En réalité, intervenant à quelques jours de la visite officielle de Faure GNASSINGBE, choix qui relève de tout sauf du hasard, il s’agit pour le CST de mettre « du caillou dans les chaussures » du Président de la République et d’occuper concurremment par cette affaire, l’espace médiatique qui pour l’essentiel, traitera du déplacement hexagonal du Chef de l’Etat.
En outre, c’est une tentative de ressusciter et de souder de nouveau ce collectif, disparu de la scène et miné par de graves problèmes d’ego et d’approches politiques, après sa désillusion des législatives où elle n’a obtenu que 19 des 91 sièges en jeu.
Elle est également la manifestation que malgré sa présence au Parlement et le fait que la stratégie jusque-là adoptée n’a pas été validée par les urnes, le CST arrivant largement derrière UNIR, ce collectif entend rebondir sur ce qui a fait pourtant son échec : maintenir une situation conflictuelle et de tension permanente. Ce qui a la vertu de maintenir la tête hors de l’eau de micro partis ou d’accorder un espace à des personnalités à l’audience incertaine qui ont besoin de reconnaissance. Aujourd’hui remplacé à la tête du CACIT au nom duquel il coordonnait le CST, Zeus AJAVON tout comme Jil-Bénoît AFANGBEDJI avec son obscure association EDH, une coquille vide, ont besoin d’une tribune pour exister ; relégués au second plan par l’arrivée des députés. Ces avocats qui ne sont plus à un conflit d’intérêt près ont fait désigner dans ce rapport d’enquête le très discret Toyi GNASSINGBE, un homme sans histoires connu pour ne pas se mêler d’intrigues politiques, comme le responsable des miliciens dans les évènements de 2005 ; faisant lever ainsi les accusations qui pèsent sur Kpatcha GNASSINGBE, devenu entre temps leur client et contre qui pourtant, Me Zeus AJAVON et le CACIT avaient porté plainte relativement à ces faits.
Il est cependant curieux que des partis comme l’ANC ou ADDI participent encore à ce genre de montage qui ne leur apporte rien politiquement ; surtout qu’aujourd’hui, une vraie tribune leur est offerte à l’Assemblée nationale. Tout ce qu’ils peuvent y gagner, ce sont les tracasseries judiciaires, non seulement des personnes accusées qui peuvent les poursuivre pour diffamation mais aussi du Procureur de la République qui a interdit à certains d’entre eux, dans le cadre de leur contrôle judiciaire, de parler publiquement de l’affaire. Il sera obligé de les écouter sur les éléments ayant servi de base à ce rapport car une information est en cours et tout élément pouvant concourir à la manifestation de la vérité doit être mis à la disposition de la justice.
Il peut également, comme cela a été le cas déjà pour Abass KABOUA, revenir sur leur liberté conditionnelle, pour en avoir violé ses conditions. Est-ce la raison de l’absence de Raphaël KPANDE-ADZARE et de la LTDH (Ligue Togolaise des Droits de l’Homme) des signataires ?
« LES VRAIS COUPABLES SONT CEUX QUI S’ACCAPARENT DU FRUIT DE LA LUTTE COMMUNE »
Plus que jamais, la justice a le devoir impératif de travailler en toute sérénité et impartialité, avec diligence pour aboutir rapidement à un procès. Pour ne pas laisser la confusion continuer à s’installer. Pour désigner, confondre et punir les coupables. Le CST a les siens ; sans à ce jour avoir expliqué le sens et la portée de ses « Derniers Tours de Jéricho ». Et que dire de ces mots d’Agbéyomé KODJO, président d’OBUTS et signataire du rapport, tenus en pleine crise au sein du CST aux lendemains des législatives et à propos de la répartition des sièges obtenus par le collectif : « dans l’affaire des incendies des marchés qui a secoué tout le pays, c’est toujours le parti OBUTS qui a payé le lourd tribut alors que les vrais coupables sont dans les rangs de ceux qui s’accaparent aujourd’hui du fruit de la lutte commune de l’opposition. Là encore, le moment viendra où les langues se délieront pour situer les responsabilités. «