« Exclusif : sorti des écrans radars depuis 10j. Faure Gnassingbé serait hospitalisé à Turin. Son investiture du 27/06 a été reporté ». C’est par ce tweet du journal en ligne, le très renseigné «La Lettre du Continent» que la rumeur sur la santé de Faure Gnassingbé qui inondait déjà la toile et les manchettes des journaux est relancée de plus belle.
Si l’on fait foi à cette information, c’est la première piste et indication sérieuse que l’on a sur des traces de Faure Gnassingbé depuis sa disparition mystérieuse du pays et les sorties hasardeuses de ses collaborateurs qui ont tenté vainement d’éteindre la polémique par des déclarations tout aussi hasardeuses qu’approximatives.
De Cléo Pétchezi qui a déclaré que le Chef de l’Etat se porte bien comme un « Pont neuf » et qu’il se prépare à se rendre au sommet de l’UA à Johannesburg à Victoire Marie-Noëlle Dzidudu Tomégah-Dogbé qui a déclaré à Jeune Afrique que son patron est à Lomé et « a eu plusieurs séances dans son bureau du palais présidentiel» ; il y a eu une volonté manifeste de dissimuler la vérité voire une opération d’enfumage de l’opinion. Mais la manoeuvre n’a pas convaincu plus d’un puisque il y avait déjà les signes précurseurs avant le départ de la fameuse rumeur qui serait d’ailleurs partie du palais présidentiel.
Le lundi 1er juin, la Direction de la Communication de la Présidence de la République avait invité au pas de charge des Rédactions pour une conférence de presse qui serait animée le lendemain au palais de la Présidence par son locataire sur le thème exclusif des préparatifs de la Conférence sur la sécurité maritime que le Togo abrite en novembre prochain.
Les journalistes se sont préparés pour être au rendez-vous du siècle. A la surprise générale, en lieu et place du Président de la république, c’est son Premier ministre démissionnaire et son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération qui se sont présentés à la grande déception des journalistes. Deux jours plus tard, Faure Gnassingbé devrait se rendre à Rome pour recevoir un prix de la FAO.
La délégation ministérielle avec les journalistes étaient déjà dans les airs lorsque le voyage fut annulé pour une brève apparition le lendemain 5 juin en compagnie de John Mahama au chevet des victimes de l’incendie de la station d’essence à Acrra. Et c’est à son retour que le décret de nomination de Selom Komi Klassou a été rendu public. Et depuis plus rien. La dernière apparition publique de Faure Gnassingbé remonte donc au 5 juin à Accra. Cela fait donc deux semaines, plus précisément 14 jours qu’il a disparu des écrans radars. Des sources proches de l’aéroport international de Lomé, il aurait quitté le pays sans préciser dans quel état. A Lomé face à une communication hasardeuse des services de la Présidence de la République, les rumeurs les plus folles s’occupent du reste. Les médias abordent le sujet avec beaucoup de prudence, les griots du régime font tourner la machine du démenti à merveille dans les émissions.
Quant à la classe politique, elle se réserve de tout commentaire public. La prudence est de mise lorsqu’on se rappelle encore de la rumeur de 2012 qui donnait Faure Gnassingbé mort en Israël avant que ce dernier ne fasse un retour dit triomphal à Lomé. A l’époque, plusieurs observateurs ont évoqué une manipulation digne des régimes de dictature. Rien ne prouve que nous sommes dans une situation similaire, a déclaré un responsable politique de l’opposition.
Quoiqu’il en soit, les Togolais sont dans l’attente d’une réapparition en public de celui qui venait d’être proclamé président de la République à la suite d’une élection frauduleusement claire et qui s’apprête à se faire investir illégalement le 27 juin prochain.
L’attente est d’autant plus légitime que le Premier ministre qu’il venait de nommer attend son accord conformément à la Constitution pour former le nouveau gouvernement. Pour l’heure, le natif de Notsè-Agou se contente de gérer un ancien gouvernement. Une anomalie tropicale typiquement togolaise parce que d’elle dépend l’épineuse question de la gestion des affaires au sommet de l’Etat. Quelle est la légation des actes posés par un premier ministre qui n’a pas encore pris fonction et qui gère un ancien gouvernement ?
La passation de service à la Primature n’est pas de fait une entrée en fonction du Premier ministre. L’article 78 de la Constitution de 1992 que nous rappelons ici est clair comme de l’eau de roche : « Le Premier ministre est le Chef du Gouvernement. Il dirige l’action gouvernementale et coordonne les fonctions des autres membres. Il préside les comités de défense. Il supplée, le cas échéant, le Président de la République dans la présidence des conseils prévus aux articles 66 et 72 de la présente Constitution. Il assure l’intérim du Chef de l’Etat en cas d’empêchement pour cause de maladie ou d’absence du territoire national.
Avant son entrée en fonction, le Premier ministre présente devant l’Assemblée nationale le programme d’action de son gouvernement. L’Assemblée nationale lui accorde sa confiance par un vote à la majorité absolue de ses membres ».
De quel droit Selom Komi Klassou se permet-il de recevoir des audiences ou de suivre des dossiers d’un ancien gouvernement démissionnaire? Supposons un seul instant, et cette hypothèse n’est pas farfelue, qu’il se présente devant l’Assemblée nationale avec son programme et n’obtient pas le quitus du parlement, a quoi serviront les actes qu’il pose en ce moment ? Plus grave, il est dit plus haut que « Le premier ministre assure l’intérim du Chef de l’Etat en cas d’empêchement pour cause de maladie ou d’absence du territoire national ». Supposons que c’est actuellement le cas, comment le sieur Selom Klassou qui n’est pas encore entré en fonction peut-il assurer l’intérim ?
Nous sommes dans un imbroglio juridique et constitutionnel sans précédent. Où sont au juste les constitutionnalistes dans ce pays pour poser le vrai débat de ce qui apparaît actuellement comme une imposture voire une hérésie juridique et constitutionnelle ? La République est-elle finalement une épicerie de quartier qu’on gère sans foi ni loi ?
La santé d’un chef d’Etat est-elle un sujet tabou ?
La question mérite d’être posée et le débat totalement ouvert sans langue de bois. Il est vrai que la pratique en Afrique consiste à faire des dirigeants des monarques de droit absolu qui n’ont de compte à rendre à personne même s’ils sont, au vu et au su de tout le monde, grabataires. La question sur la santé des chefs d’Etat est parfois posée par la Constitution elle-même. Il ne s’agit pas de poser le sujet en termes de réjouissance au malheur qui arriverait à un être humain parce que nous sommes tous des denrées périssables pour ne pas dire clairement des mortels.
Mais dans la pratique républicaine, il s’agit de poser le sujet en termes d’aptitude ou non d’un individu à continuer par accomplir ses charges à la tête d’un pays. Le sujet tel que posé ne saurait donc être tabou. Et la Constitution togolaise n’occulte d’ailleurs pas le débat. « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République s’il : ne présente un état général de bien être physique et mental dûment constaté par trois (3) médecins assermentés, désignés par la Cour constitutionnelle », peut-on lire à l’alinéa 4 de l’article 62 de la Constitution togolaise.
Le Code électoral en son article 151 alinéa 9 renchérit : « La déclaration de candidature signée doit être accompagnée des pièces suivantes : un certificat médical constatant l’aptitude physique et mentale du candidat conformément aux dispositions de l’article 62 de la Constitution ». Faure Gnassingbé est-il un homme au mieux de sa forme ?
Pas si évident que sa. Le rejeton d’Eyadema comme tout autre personne a souvent des ennuis de santé qui l’oblige à se rendre régulièrement en Italie pour prendre des soins. Des voyages qui se font dans le secret absolu avec un carré de fidèles. Ces voyages sporadiques se sont accélérés ces derniers temps avec parfois deux déplacements en un seul mois selon une source du sérail. Lors de la dernière campagne électorale, plusieurs meetings du candidat d’UNIR (Kpelé, Sokodé, Atakpamé, Kara) ont été annulés pour des raisons de santé même si officiellement aucune explication n’a été donnée.
L’autre question qui découle de tout ce constat est de savoir comment les médecins assermentés (Professeurs Moustafa Mijiyawa, Goeh-Akoue Kpakpo, Agnon Koffi Balogou) qui ont examiné les candidats ont pu délivrer un certificat médical valide à Faure Gnassingbé ? L’ont-ils vraiment examiné ou au moment où il était examiné ne présentait-il aucun symptôme que les éminents professeurs ont détecté ? Cette préoccupation est d’autant plus légitime qu’en 2003, les médecins qui ont examiné feu Eyadema Gnassingbé lui avait délivré un certificat médical pétant la forme comme un « pont neuf » avant que la catastrophe nationale ne survienne deux ans plus tard. Tirant les leçons de ce passé pas si lointain et ses conséquences dramatiques pour le pays, il est plus que nécessaire que le débat sur la santé du Président de la république soit posé. Car de son aptitude ou de sa bonne forme dépend la gestion des affaires au sommet de l’Etat.
Qu’il soit donc malade et hospitalisé en Italie, qu’il soit en congé éprouvé par une longue campagne électorale ( Sic) où qu’il se soit retranché quelque part, il est impérieux que Faure Gnassingbé réapparaisse le plus rapidement possible, même si c’est « triomphalement », pour s’acquitter de ses obligations de chef de l’Etat puisqu’il tient à gouverner le Togo sans partage jusqu’en 2030 ou ad vitam aeternam. Pour l’heure c’est une confusion juridique pour ne pas dire une paralysie totale au sommet de l’Etat depuis la période de campagne électorale.