Ancien sous-directeur chargé de l’Afrique de l’Ouest au Quai d’Orsay (juillet 2008-mars 2013), ce diplomate de carrière a été remercié, dit-on, en raison de son franc-parler. Laurent Bigot a depuis fondé Gaskiya, une société de conseil. Pour Rue89, il revient sur la dernière tournée africaine de François Hollande.
Que pensez-vous de la visite du président français au Cameroun ?
Le Cameroun se trouve depuis de nombreuses années sous la férule d’un seul homme. Ce n’est pas un pays démocratique. Les règlements de comptes politiques se font par le biais d’affaires judiciaires. Le message de la France est attendu, sans donner de leçons mais en rappelant que sur le long terme, un pays ne peut évoluer positivement que s’il fonctionne sur des règles d’alternance politique et d’Etat de droit.
Faut-il voir une intervention de la Françafrique dans la nomination de Lionel Zinsou au poste de Premier ministre au Bénin ?
Que le projet de nomination de Lionel Zinsou à ce poste ait été soutenu par Paris, c’est incontestable, car il a ses entrées institutionnelles en France. Pour le reste, je n’y crois pas. La Françafrique se moque complètement du Bénin. Ce n’est pas à la France de diriger le Bénin, mais aux Béninois de le faire. Nous n’avons pas de mandat sur le Bénin, ni sur l’Afrique.
Lionel Zinsou n’est-il pas perçu comme un Français au Bénin ?
Il l’est, et il n’a pas d’ancrage politique au Bénin. En même temps, le poste de Premier ministre n’existe pas dans la Constitution du Bénin. Cet attelage est donc surprenant, mais Lionel Zinsou est un homme de talent et je lui souhaite de réussir.
Je souhaite surtout aux Béninois d’avoir un scrutin libre et transparent et de pouvoir choisir en toute sérénité leur Président, quel qu’il soit.
Que pensez-vous de la signature d’un accord de paix dans le nord du Mali ?
Enième signature ! Ce qu’il faut pour le Mali, c’est arrêter de se raconter des histoires. Il faut faire des choses simples, restaurer voire instaurer des fonctions régaliennes dans le nord du pays. C’est ce que les populations demandent : que l’Etat de droit soit instauré dans le nord du pays, avec l’accès à la santé, l’éducation et la sécurité.
Il faut aussi prendre à bras le corps le problème principal du Mali, qui reste le trafic de drogue. La vraie gangrène dans toute la sous-région n’est pas le terrorisme, mais la drogue. Elle génère des flux financiers incroyables qui financent la politique en Afrique de l’Ouest, en contaminant toute l’administration, les services de défense et de sécurité.
Que pensez-vous du projet de grande conférence internationale contre la piraterie maritime au Togo, que veut organiser le président Faure Gnassingbé en novembre ?
La piraterie est institutionnelle au Togo. On sait que le système pille le pays et que le régime est affairiste. Là aussi, il faut arrêter de se raconter des histoires. C’est comme si l’on organisait une conférence contre le trafic de drogue, avec pour principal invité Pablo Escobar.
Pourquoi la France semble-t-elle négliger le Togo, où un coup de force électoral s’est encore produit fin avril ?
La France se moque de l’Afrique en général. Elle n’a plus de vision ni d’ambition, si ce n’est faire des coups de communication.
Comme Richard Attias par exemple ?
Non, il s’agit plus de coups de fric que de coups de communication dans son cas.
Que pensez-vous du discours récurrent sur l’Afrique, qui consiste à dire qu’il faut des hommes forts comme Paul Kagamé (Rwanda) pour mener les pays à la baguette ?
Ce qu’on n’est pas prêt à accepter pour soi-même, il ne faut pas l’imposer aux autres. En France, si nous avions un homme fort, nous serions les premiers à descendre dans la rue. Ce n’est pas parce que les peuples dont nous parlons sont africains qu’ils ont le droit à des régimes au rabais. Le système de Paul Kagamé est assis sur un génocide. Des opposants se font exécuter à l’étranger… Ne faites pas la promotion de ce que vous ne voulez pas pour vous-mêmes ! C’est très condescendant et franchement, je ne supporte pas d’entendre ça.