Togo - Depuis la nuit des temps, le pouvoir politique en Afrique a été toujours organisé autour des trônes traditionnels. Le pouvoir se transmettait essentiellement de père en fils et les successions ont toujours respecté les règles non écrites mais bien établies. A leur arrivée, les Occidentaux avaient trouvé une organisation politique déjà bien en place sur laquelle ils se sont basés pour faire leur œuvre de « civilisation ».
Le pouvoir indigène servait de courroie de transmission entre les populations et les nouveaux maîtres. Mais de nos jours, la situation est en train d’évoluer si ce n’est qu’elle a totalement changé. Les règles sous-tendant la dévolution du pouvoir des chefs traditionnels ne sont plus respectées. Après les indépendances, le pouvoir politique n’a de cesse de s’immiscer dans l’organisation des chefferies traditionnelles et d’instrumentaliser les chefs à des fins électoralistes allant jusqu’à imposer des personnes n’ayant pas grand-chose à avoir avec le trône traditionnel. Toutes choses qui mettent à mal la cohésion et la paix sociales dans les différentes localités concernées.
Le cas du Togo
Notre pays le Togo n’échappe pas à cette réalité. Mieux, il constitue un cas d’école en la matière. Des conflits de succession aux trônes traditionnels se multipliant à un rythme effréné avec des formes variées. Il est relevé au Togo, trois germes de conflit latent qui sont entre autres, la question des réformes politiques, la question foncière et enfin, les problèmes liés à la succession à la tête des villages et cantons.
Le cas le plus récent est signalé dans la préfecture des Lacs à Aného. A la mort de Nana Anè Ohiniko Quam Dessou XIV, il fallait lui trouver un successeur. Chose qui n’a pas été facile à faire à cause des rivalités internes et des conflits de leadership au sein de la collectivité. Celui sur qui le choix a été porté, a été traité de tous les noms d’oiseaux et accusé par ses adversaires d’être un « usurpateur », un « descendant d’esclave » qui voudrait s’imposer en usurpant la place des vrais héritiers des lieux. Mais le contesté réussira à s’imposer avec le concours, selon les mauvaises langues, du « pouvoir politique ».
En 2013, la localité de Kpadapé, située à une dizaine de kilomètres au Sud de la ville de Kpalimé a également connu ce même scénario. Togbui Agbokou IV fut pendant longtemps contesté par une partie de ses futurs sujets. Mais il finira par recevoir l’onction sacrée et son décret de « nomination ». Là encore, l’implication du pouvoir politique sera activement dénoncée par une partie des administrés. Noépé, Totsi, Cacaveli, Kpadapé, Notsè, Tabligbo et bien d’autres localités connaissent les mêmes difficultés.
Des scénarii dignes de films Nollywoodiens
Les difficultés relevées plus haut tirent leur origine de l’implication des colons dans l’organisation politique en Afrique. Il arrivait que le pouvoir colonial démette ou arrête un chef traditionnel pas assez docile à son goût pour en nommer un autre plus malléable. A la décolonisation, sont arrivés des gouverneurs (présidents) noirs à la tête de nos Etats africains. Ceux-ci ont poursuivi la même politique ce qui a exacerbé un peu plus les tensions et conflits.
Aujourd’hui, le choix des chefs qui doit répondre à des critères propres à chaque localité est biaisé. Pourvu qu’on ait des accointances au sommet de l’Etat ou qu’on soit très puissant. Qu’on ait des mains financièrement bien solides et son autorité est vite reconnue alors que les ayant droits sont ignorés.
Parfois, ce sont des ressortissants d’une autre partie du pays, n’ayant aucune racine ni aucun pouvoir dans une autre localité, qui réussissent à faire imposer leur chef traditionnel qui reçoit des décrets de nomination, alors que dans les localités où ils se sont installés, des chefs autochtones existent déjà, qui eux aussi sont légitimement reconnus par l’Etat.
Un autre cas, c’est l’imposition d’une personne à la tête d’un village alors que celle-ci n’a aucune envie de devenir chef traditionnel. Ce fut le cas d’un jeune homme à Zowla Zogbédji. Selon une histoire qui nous a été rapportée, suite à l’incapacité du chef Togbui Kemavo VI de continuer à gouverner, étant atteint d’une maladie invalidante, le conseil coutumier s’était réuni et porta son choix sur Kémavo Anani. Mais celui-ci, compte tenu de ses convictions religieuses refusa la proposition ce qui n’a pour autant pas découragé les sages. Ceux-ci évoquant un choix des dieux et disant que la localité encourait des représailles des divinités si l’élu ne s’exécutait pas, envoyèrent le chercher à Lomé où il travaillait. Il sera enfermé plusieurs jours durant dans les couvents de Zowla avant d’être conduit en pleine forêt pour des cérémonies d’intronisation. Celui-ci réussira à s’enfuir pour porter plainte au premier poste de police rencontré puis disparut mystérieusement sans laisser de traces.
Cette histoire prouve qu’il y a de ces personnes qui refusent de porter la couronne royale pour des raisons diverses, allant des raisons religieuses (le cas de Kémavo Anani) à des convenances politiques ou idéologiques. Mais aussi surprenant soit-il, nous apprenons que les « Tchami (conseillers) » et les prêtres vaudous continuent par attendre son retour pour son intronisation. Des recherches sont en cours, selon nos sources pour le retrouver et lui imposer cette chefferie de gré ou de force.
Autant de drames humains, de vies brisées et de déchirures sociales que la question de la chefferie en Afrique et au Togo cause. Il urge que les autorités gouvernementales trouvent une solution à la situation et arrêtent l’hémorragie. Pourquoi ne pas organiser des assises de la chefferie traditionnelle pour réaffirmer les fondamentaux de nos aïeux ? Réfléchissons-en.