Lomé - Assis sur un tabouret au milieu de ses fétiches - crânes, plumes, statuettes -, Lucien Yekpon, grand guérisseur traditionnel, pose la main sur la tête de son patient. Après quelques incantations, il lance : "Tu seras complètement guéri".
Le jeune homme immobile devant lui a fait le trajet jusqu’au Togo depuis le Bénin voisin pour tenter de soigner une migraine tenace qui le gêne dans son travail depuis trois ans.
"J’ai été soigné dans plusieurs centres de santé au Bénin, (mais) les douleurs persistaient", explique Adolphe Houndji, un couturier de Cotonou âgé de 35 ans. Trois jours après son arrivée à Lomé, la magie opère déjà, assure-t-il, et il se sent "beaucoup mieux".
Situé en plein coeur d’Akodessewa, un quartier populaire, le marché des fétiches de Lomé est réputé dans toute l’Afrique de l’Ouest. On y traite tous les maux, de la crise de paludisme à la fièvre typhoïde en passant par les troubles de l’érection, l’asthme et la tuberculose.
La centaine de guérisseurs et de féticheurs qui y travaillent viennent presque tous du Bénin voisin, foyer historique du culte vaudou, un mélange de pratiques magiques et d’éléments pris au rituel chrétien.
"Ce marché est un héritage de nos grands-parents. Nous initions déjà nos enfants afin qu’ils prennent la relève", explique Paul Adounsi, la quarantaine, en s’occupant d’un patient venu du Sénégal pour soigner sa
sinusite.
"La plupart des clients, à l’époque, venaient de Lomé", raconte Houndjénoukon Boccovo, grand guérisseur de père en fils. "C’est ainsi qu’en 1963 [nos aïeux] ont eu l’idée de créer ce marché" dans la capitale togolaise, pour se rapprocher de leur clientèle.
- Moins de touristes avec Ebola -
Une dizaine de "couvents", sortes d’autels remplis de petits fétiches de divinités vaudoues, sont dressés derrière les étalages où sont exposés des crânes et peaux séchées d’animaux, des ossements de reptiles, des plumes d’oiseaux, des statuettes. Dans les allées se dégage une odeur de chair pourrie.
"Tout ce qui est exposé sur les étalages sert d’ingrédients dans la préparation de nos produits (...) Par exemple une carapace de tortue bien écrasée et combinée avec certaines herbes et du miel peut guérir un patient souffrant d’asthme chronique", explique M. Yekpon.
"Les patients viennent de partout (...) Certains Blancs viennent également chez nous", poursuit-il.
Mais les touristes, des Européens et parfois des Américains, s’y rendent plus par curiosité que pour des consultations. Et leur nombre a chuté depuis l’année dernière, en raison de l’épidémie de fièvre hémorragique Ebola dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, regrette Elias Guedena, principal guide du marché.
"Ebola a fait fuir beaucoup de touristes car la plupart des choses exposées sont des dérivés d’animaux de brousse (un des vecteurs de transmission de la fièvre hémorragique, ndlr). Mais depuis deux mois, ils reviennent peu à peu", dit-il.
- Malades envoûtés et politiciens en campagne -
Olivier Massenon, un guérisseur traditionnel de Kpalimé, au nord de Lomé, a parcouru plus de 100 km pour une requête bien particulière.
"Aujourd’hui, j’ai acheté trois têtes d’un oiseau puissant appelé +Aziza+ pour préparer des produits à un patient qui souffre de faiblesse sexuelle depuis huit ans", dit-il sur le ton de la confidence.
"Il ne sera jamais guéri à l’hôpital car les fétiches ont révélé qu’il est envoûté. Après deux semaines de traitement dans mon couvent, son sexe retrouvera totalement sa force", promet ce guérisseur de 35 ans.
Les malades envoûtés sont nombreux au marché d’Akodessewa, explique le grand guérisseur Yekpon, parce que pour soigner ces maux qui ne sont "pas naturels", hôpitaux et médecins ne peuvent rien.
A l’approche des élections, un autre public afflue: "des politiciens viennent chez nous pour qu’on leur prépare des talismans pour gagner", dévoile de son côté M. Boccovo. "Lors des élections législatives de juillet 2013, surtout pendant la campagne électorale, (..) j’ai même préparé des bagues à certains candidats", censées provoquer la chance, poursuit-il sans révéler si le sort a fonctionné - secret professionnel oblige.
Il y a peu de clients pour lesquels les guérisseurs d’Akodessewa ne peuvent rien... à une exception près, note M. Boccovo: ceux "qui veulent des gris-gris pour faire du mal à leur prochain". Eux "nous les renvoyons", assure-t-il. Parce que "nous ne sommes pas des sorciers".