Un tourisme atypique. Parcourir les routes togolaises à la rencontre des travailleurs migrants. Tel est l’exercice auquel s’est plié la Fédération Togolaise du Bois et de la Construction (FTBC) et Visions Solidaires depuis quelques jours. Les chantiers routiers des préfectures du golfe, d’amou, de wawa et de la nationale N°1 qui traverse le Togo sur toute sa longueur ont reçu la visite de cette délégation cosmopolite de syndicalistes et de militants associatifs. Cette tournée rentrait dans le cadre d’une campagne pour la défense des droits des travailleurs migrants, conformément à la convention 143 de l’OIT ratifiée par le Togo, et de la protection sociale de tous les ouvriers travaillant dans le secteur de la construction au Togo. Si les Togolais sont fiers de la beauté retrouvée de leurs routes et ruelles depuis peu, rares sont ceux qui en connaissent le prix payé tant au niveau des finances publiques qu’au niveau de ces milliers d’ouvriers qui se tuent à la tâche pour faire avancer les chantiers routiers.
« *Je croyais l’esclavage disparu mais non je le vis chaque jour sur ces routes en construction*. » ; « *Je n’ai jamais pensé auparavant que l’Homme pouvait autant exploiter son semblable même les machines quand elles sont fatiguées tombent en panne mais nous on n’a pas droit de nous reposer* » ;
« *Depuis huit mois que je travaille sur ces routes, on me dit toujours que je suis à l’essai et on ne veut pas me faire signer un contrat.* » tels sont quelques propos recueillis auprès d’ouvriers béninois, burkinabés, ghanéens et togolais qui pour la plupart sont à leur premier chantier de
construction.
« *La route du développement passe par le développement de la route* ». Cette belle citation a servi d’argument à l’ambitieux programme de construction d’infrastructure routière entrepris par le gouvernement togolais. A partir de 2009, la population togolaise a vu germer à Lomé, comme dans d’autres grandes villes du Togo, de grands chantiers à forte intensité de main d’œuvre. A la nécessité de doter le pays de voies de communication utiles pour son économie, s’est ajouté également un besoin esthétique de redorer l’image d’un pays et de sa capitale ayant eu, en 20 ans, peu d’investissements publics en urbanisme. L’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE a donné le ton à un vaste programme d’endettement pour soutenir l’investissement public. La majeure partie des fonds empruntés étaient orientés vers les routes et leur construction
devait assurer le recrutement de jeunes diplômés sans-emplois vivant encore à la charge de leurs parents.
Mais fort malheureusement bien des prêts obtenus par le gouvernement togolais étaient des aides liées qui exigeaient le recours aux entreprises de construction des pays qui concédaient les prêts. Ainsi a-t-on vu les entreprises chinoises et leur cohorte d’ouvriers rejoindre massivement le
Togo pour la construction de ponts, de routes, d’un terminal aéroportuaire et d’infrastructures hôtelières. Les nouveaux marchés qui s’ouvraient au Togo ont également aiguisé l’appétit d’entreprises européennes en bâtiments et travaux publics qui avaient une longue expérience du terrain africain. Et enfin quelques start-up africaines et du Moyen-Orient ont pu également se glisser dans ce secteur juteux moyennant au passage diverses dessous de tables et pressions politiques.
Très vite va se poser le problème de la main d’œuvre qualifiée au Togo pour la conduite des travaux. La petite école de génie civile dont dispose l’université de Lomé ne permettait à chaque promotion de ne former qu’une dizaine de jeunes en cette matière. Ces derniers n’avaient guère la chance de développer leurs connaissances en matière de construction de route face aux manques de projets sur le terrain à partir des années 90. En outre la forte mécanisation des travaux de construction nécessitait une main d’œuvre habituée à conduire des engins lourds comme les niveleuses, les gradaires, les chargeuses, les poclains, les compacteurs Aucune école togolaise ne formait malheureusement à ce genre de profil. Les entreprises ont donc été obligées de recourir à une forte main d’œuvre étrangère provenant des pays limitrophes, voire d’Europe, pour respecter les contraintes temporelles liées aux chantiers.
Inoussa est un chauffeur de benne burkinabais et il a rejoint la compagnie EBOMAF il y a plus de 5 ans lors des travaux de construction de routes à Ouagadougou, la capitale du Faso. Après l’octroi du marché de construction de la route Tandjouaré Kanté à cette entreprise, on lui a demandé de ramener les camions de la compagnie sur Dapaong au nord du Togo et depuis lors il n’est plus jamais rentré au Burkina. Lors de nos échanges à Kanté, il nous confiait ne jamais avoir signé de contrat et son statut au sein de cette société depuis toutes ces années reste flou ne disposant pas de livret d’assurance et ne bénéficiant d’aucune protection sociale. Fort difficilement il a pu amener sa famille au Togo pour ne pas être seul et pouvoir avoir sa compagne à ses côtés pour sa subsistance quotidienne. Les chantiers de construction étant un secteur de mobilité constante, bien des ouvriers se retrouvent livrés à eux même dans des zones méconnues et austères.
La solitude et la fatigue liée aux tâches quotidiennes en font des êtres en demande de compagnie féminine. Ils enchaînent des relations au fur et à mesure de l’évolution des routes, laissant au passage des progénitures dans différents villages et multipliant le risque d’attraper des maladies sexuellement transmissibles. Il apparaît donc que l’impact social d’un chantier routier ne se limite pas seulement aux kilomètres construits mais également à tous les liens tissés le long de cette construction et les problèmes qu’il engendre.
A l’insécurité de l’emploi vient s’ajouter la terreur organisée par les entreprises qui recourent à des licenciements à tout bout de champs comme constaté sur le chantier de la SOGEA SATOM, du groupe français VINCI, sur la route Témédja – Badou. Certaines fois la complicité des autorités locales renforcent l’état de terreur. A kanté, sur le chantier EBOMAF, toute la machine de l’Etat n’arrive pas à faire faire respecter la législation du travail et les lois sociales. Pour exemple lors de nos deux jours passés dans la zone et au cours des différentes réunions tenues avec les ouvriers, nous n’avons cessé de recevoir la visite des agents et officiers de police pour des contrôles divers. Ils prenaient des photos, se renseignaient sur nos activités, consignaient l’immatriculation de notre véhicule et ne négligeaient aucune action pouvant intimider les ouvriers et les empêcher de pouvoir s’exprimer sur les tristes réalités de leurs conditions de travail.
Sur tous les chantiers visités le premier travail de notre délégation consistait à briser cette peur qui minait tout dialogue social avec les employeurs. A Témédja comme à Badou, sur les chantiers de la SOGEA SATOM plus d’une demi-heure a été nécessaire pour enfin délier la langue des ouvriers et permettre de recueillir leurs frustrations. Et quand les langues se déliaient, on en avait pour des heures tant il y avait à dire. Un des moments les plus émouvants de cette tournée a été à Badou. Lors de nos échanges, un des ouvriers togolais est revenu sur les retenus de salaire versés à la sécurité sociale qu’il constatait sur sa fiche de paie.... suite de l'article sur Autre presse