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«Une économie faible ne peut pas avoir une monnaie forte (…) Les pays de la zone franc doivent tirer leçon de la crise que traverse la Grèce»
Publié le samedi 12 septembre 2015  |  Actu Express


© aLome.com par Lakente Bankhead
Kako Nubukpo, ministre auprès de la présidence de la République, chargé de la Prospective et de l`Evaluation des politiques publiques


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Reçu le samedi 5 septembre 2015 dans l’émission « Eco d’ici éco d’ailleurs », l’universitaire n’a pas caché son inquiétude des risques de dévaluation du franc CFA. Il évoque quatre défis de la zone franc et pense qu’il faudrait aller vers un régime de change flexible. Il parle d’économie de troc, de servitude volontaire des banques centrales, d’incohérence des politiques publiques, de balances commerciales structurellement déficitaires et de faible ratio crédit sur PIB dans la zone franc. Kako Nubukpo trouve bizarre que le franc CFA de l’Afrique de l’ouest ne soit pas convertible en Afrique centrale. Aussi donne-t-il deux pistes d’arrangement institutionnel pour corriger le faible taux d’inflation et booster la croissance de la zone franc. Il demande aux Chefs d’Etat de la zone franc de dépassionner le débat et d’aller à l’essentiel. Il répondait aux questions de Frédéric Maury (Jeune Afrique) et de Jean-Pierre Boris (rfi). Lisez plutôt.



Economiste togolais passé par la plupart des grandes institutions financières ouest-africaines (BCEAO, UEMOA), Kako Nubukpo était jusqu’à une date récente ministre de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques au sein du gouvernement togolais. Aujourd’hui chercheur à l’universtié d’Oxford en Grande Bretagne avant de partir à Princeton, il a retrouvé sa liberté de parole et et répond aux questions de Frédéric Maury (Jeune Afrique) et de Jean-Pierre Boris (RFI). Kako Nubukpo revient en particulier longuement sur la vision très critique qu’il a de l’organisation monétaire africaine et surtout de la manière dont est géré le franc CFA.

Est-ce que c’est le fait d’avoir contesté l’existence et le rôle du franc CFA qui a joué un rôle dans votre départ du gouvernement togolais ?


Non je ne pense pas. Je crois que les fonctions ministérielles comme vous le savez, sont des CDD, des contrats à durée déterminée et c’est une chance qu’on puisse faire appel à vous pour servir. Je crois que deux ans c’est largement suffisant pour apporter sa modeste pierre à la construction de l’édifice togolais et je crois que la vie continue.


Alors vous êtes maintenant au poste à l’université anglaise d’Oxford prestigieuse, vous avez passé un an puis une seconde année à Princeton aux Etats-Unis dans le cadre d’un programme qui vise à former les futurs leaders de l’économie mondiale. Quand on a ce parcourt qu’est-ce qu’on attend de ce passage à Oxford puis à Princeton aux Etats-Unis?

Comme vous le savez, il faut toujours limer sa cervelle contre celle d’autrui et je crois que ce ne sont pas les plus mauvais qu’on rencontre dans ces universités-là.
Je vais surtout travailler sur le fédéralisme budgétaire, c’est-à-dire comment faire plus de solidarité en matière budgétaire lorsqu’on est dans un espace avec une monnaie unique. Donc on va comparer l’expérience européenne, américaine, latino-américaine avec celle qu’on a en Afrique.

En Afrique de l’ouest ?
Oui en Afrique de l’ouest mais aussi en Afrique de l’Est. Parce qu’il y a une expérience monétaire qui se met en place dans le cadre de l’«East AfricanCommunity » avec le Rwanda, le Kenya et la Tanzanie. Je crois qu’il y a des choses à voir de près là-bas également.

Le 11 Août dernier, Kako Nubukpo, le Président Tchadien Idriss Deby a pris la parole à Abéché au Tchad à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance de son pays et à la surprise générale, il a violemment contesté l’existence du franc CFA, un discours qu’on peut considérer comme historique : « Vous avez aujourd’hui le franc CFA qui est garanti par le trésor français. Cette monnaie-là, elle est africaine. C’est notre monnaie à nous. Il faut maintenant que réellement dans les faits, cette monnaie-là soit la nôtre pour que nous pussions le moment venu faire de cette monnaie, une monnaie convertible et une monnaie qui permet à tous ces pays francophones qui utilisent encore le francs CFA de se développer. Je crois que c’est une décision courageuse que nos amis Français doivent prendre et l’Afrique aussi, la sous-région des pays francophones, face à ce que j’appelle aujourd’hui la coopération monétaire avec la France, il y a des clauses qui sont dépassées et ces clauses-là il faudra les revoir dans l’intérêt de l’Afrique et dans l’intérêt aussi de la France. Ces clauses tuent l’économie de l’Afrique. Ces clauses ne permettront pas l’Afrique de se développer avec cette monnaie-là. Ça c’est une réalité. On n’a pas besoin de chercher midi à quatorze heures pour cela. Donc il faudra que nos amis, historiquement on est lié à la France, nous allons continuer à jouir de cette amitié sincère la France mais il faudra avoir le courage de dire que le moment est venu pour couper un cordon qui empêche à l’Afrique de décoller. Là l question est posée. Ce n’est pas une question tabou. Pourquoi l’ensemble de nos échanges en exportation et en importation passe par la banque centrale de la France ? », dixit Idriss Deby.
Alors Kako Nubukpo c’est la première fois me semble-t-il qu’un Chef d’Etat africain d’un pays membre de la zone franc se livre à une attaque pareille contre le franc CFA. Comment vous réagissez à cette attaque d’Idriss contre le franc CFA ? Est-ce que vous partagez ces arguments ? (Frédéric Maury).


Un rectificatif peut-être. Ce n’est pas la première fois. Le Gal. Eyadema, président du Togo, en novembre 1972, lors de la visite du président Pompidou à Lomé, avait eu des propos de la même teneur. Et d’ailleurs suite à ce là, on a connu la révision des accords de coopération monétaire de 1973.
Effectivement, chaque fois que les Chefs d’Etat ont posé le problème de fonctionnement du franc CFA, il y a eu des évolutions institutionnelles. Donc tout le mal qu’on peut souhaiter à cette zone c’est que suite aux déclarations d’Idriss Deby, mais aussi au contexte actuel notamment la montée en puissance de la Chine, qu’on puisse avoir des évolutions institutionnelles dans le fonctionnement de cette zone.

Maintenant s’agissant du fond de ce que dit Idriss Deby, il y a un point sur lequel je ne suis pas d’accord. Ce ne sont pas à nos amis Français de prendre quelque décision que ce soit. Si comme il le dit c’est une monnaie africaine, c’est aux Chefs d’Etats africains de prendre leur responsabilité. Et pour ça nous avons le conseil des ministres de la zone CEMAC à laquelle appartient le ministre Tchadien des finances. Donc on attend de voir quelle s sont les propositions concrètes qu’il va faire dans le cadre du conseil des ministres de la CEMAC puis la conférence des Chefs d’Etats de la CEMAC qui doit se saisir, si tant est qu’il y a besoin de s’en saisir et qu’on voit concrètement les propositions des Chefs d’Etats de la zone CEMAC.

Est-ce que vous pensez que les autres Chefs d’Etats pensent comme lui mais ne l’expriment pas publiquement ? (Frédéric Maury).


On parle beaucoup du président ObianNguema qui serait sur les mêmes positions. Le 1er octobre nous aurons la réunion de la zone franc et nous serions curieux de voir la position des ministres de finance de la zone CEMAC mais aussi de la zone UEMOA.


Revenons sur le fond, est-ce que le franc CFA est un obstacle au développement des pays qui l’ont pour monnaie comme le dit le président Idriss Deby ?


Disons qu’il y a quatre défis que pose le franc CFA.
Le premier défi c’est la faible part du commerce régional. C’est-à-dire que 70 ans après la création du franc CFA, le 26 décembre 1945, la part du commerce intra régional est toujours inférieure à 15% dans nos pays contre plus de 60% dans la zone euro. Or il n’y a pas de raison lorsqu’on n’échange pas de partager la même monnaie.
Le deuxième défi c’est le défi de la compétitivité. Quand des économies faibles comme les nôtres sont rattachées à une monnaie forte comme le CFA qui est en arrimage fixe avec l’euro qui est une des monnaies les plus fortes au monde, ça agit comme des subventions sur nos importations et des taxes sur nos exportations. C’est-à-dire qu’on a des balances commerciales structurellement déficitaires.

Est-ce que vous pouvez détailler « des subventions sur vos importations et des taxes sur vos exportations» ?
Oui c’est que vous avez l’impression d’être riche lorsque vous avez une monnaie forte. Donc plutôt que de produire vous-mêmes ce dont vous avez besoin, vous êtes tentés d’importer ce que les autres produisent, notamment les produits chinois. C’est aussi simple que ça. Lorsque vos producteurs de coton veulent exporter leur coton, comme la monnaie internationale c’est le dollar et qu’elle est faible par rapport à l’euro, vous avez des coûts de production en euro-CFA mais vous vendez en dollar. Ce qui fait que vous n’arrivez jamais à dépasser la zone de coûts fixes donc vous ne pouvez pas être compétitif. C’est un problème de nature structurelle.
Le troisième défi c’est qu’il y a un sous financement chronique des économies de la zone CFA. Le ratio crédit sur PIB est de 23%.



Attendez. Là vous êtes très technique. Que veut dire le ratio crédit sur PIB ?
C’est le degré de liquidité d’une économie. C’est-à-dire que les banques ne prêtent pas. Quand on compare avec l’Afrique du sud qui a un ratio de 155% ou la zone euro qui a un ratio supérieur à 100%, on se rend compte que les économies de la zone franc sont des économies de troc. On échange des moutons contre des poulets. Il n’y a pas d’argent qui circule dans la zone CFA.

C’est lié à l’existence du franc CFA ?
Ah oui ! Ah oui ! Parce que si vous ouvrez les vannes du crédit, comme nous importons beaucoup parce que nous produisons très peu, ça fait fuir les devises et à un moment donné, nous ne pouvons plus supporter le taux de change entre le franc CFA et l’Euro. C’est purement mécanique.

Le quatrième défi qui est d’ailleurs lié au troisième, c’est que nous avons choisi d’avoir des politiques monétaires de pays riches notamment des pays de la zone euro. C’est-à-dire qu’il n’y a aucune ambition de croissance économique.


Comment est-ce que vous pouvez dire ça alors que tous les pays africains ont des programmesd’expansion économique, je pense à la Côte d’Ivoire, à votre pays le Togo et à bien d’autres ?
Mais non, c’est simple. C’est ce qu’on appelle incohérence des politiques publiques. C’est-à-dire qu’il y a une certaine facilité à se réfugier derrière l’euro et à s’interdire d’avoir une réflexion endogène sur la manière dont on peut utiliser les leviers économiques, notamment le budget et la monnaie pour financer l’économie et promouvoir la croissance et un croissance inclusive. C’est ce que j’appelle la servitude volontaire des banquiers centraux de la zone franc. C’est que nous nous refusons à voir la réalité en face et c’est quelque chose qui me parait fortement préjudiciable parce qu’à long terme nous ne pouvons pas garder une monnaie forte. Vous savez, quand le secteur réel s’effondre, et c’est le cas dans nos économies, que vous ayez beaucoup de réserves de change ou pas, elles finiront par s’amenuiser d’elles-mêmes et il faudra dévaluer à un moment donné.
Donc là c’est un problème de fond que pose le président Idriss Deby et je crois que les autres Chefs d’Etats devraient regarder de façon dépassionnée. Moi je vous parle en tant qu’économiste, je ne parle pas des questions identitaires. Ce n’est pas une guerre entre la France et l’Afrique. Moi je vois de façon pragmatique les difficultés de fonctionnement de nos économies et je dis qu’il ne devrait pas y avoir de tabou de quelque nature que ce soit. En même temps, la monnaie ce n’est pas l’alpha et l’oméga des économies africaines mais il sera absurde de ne pas aborder l relation entre la monnaie et le secteur réel de l’économie.


On peut dire qu’une grande monnaie comme l’euro est une forme de protection, c’est aussi rassurant pour les investisseurs étrangers d’avoir cette parité fixe avec l’euro. Ce sont arguments positifs ?

Nous qui sommes dans la classe urbaine, notamment la classe moyenne urbaine, nous bénéficions du franc CFA parce que nous avons une consommation extravertie et nous pouvons déposer nos ressources au sein de la zone euro mais n’oublions pas que 75% de la population de la zone franc est rurale et cette population a besoin d’une monnaie faible pour pouvoir exporter et avoir un niveau de vie en phase avec leurs conditions.

Vous voulez dire que le franc CFA est une monnaie d’élite ?
C’est la monnaie des élites, d’ailleurs au moment de la dévaluation en 1994, ce qui était dit c’est qu’entre les importateurs de champagne et les exportateurs de coton, il faut choisir les exportateurs de coton. C’est ce que le Directeur général du FMI avait dit à l’époque.


Et l’histoire va recommencer ?

Je pense qu’il faut aller vers un régime de change plus flexible. Il faudrait arrimer le CFA à un panier de monnaies de sorte que nous pussions disposer d’un degré de liberté supplémentaire. Aujourd’hui le problème est que lorsqu’il y a des chocs conjoncturels, nous n’avons aucun instrument de réponse à ces chocs. Nos budgets sont corsetés par les critères de convergence qui également sont construits à l’instar de ce qui existe dans la zone euro et au niveau de la monnaie nous n’avons aucune marge de manœuvre.

Mais est-ce vous voulez couper le pont avec la France, la zone euro, la banque de France ou est-ce que vous voulez enterrer complètement le franc CFA ? Quelle est la marge de manœuvre que vous voyez ?

Non les arrangements institutionnels à faire sont à deux niveaux.
Premier niveau, dans le cadre existant est-ce qu’on fait suffisamment bien ? Est-ce que l’arbitrage inflation croissance est un bon arbitrage ? J’observe que l’objectif de la BCEAO et de la BEAC c’est 2% d’inflation. C’est l’avis de tous les économistes, c’est un taux d’inflation trop bas pour des économies en développement qui ont besoin de beaucoup plus de croissance et de financement.


Le taux de croissance de 5 à 6% auquel on assiste en ce moment dans la plupart des pays est un taux insuffisant ?

Oui en tout cas ils ne proviennent pas d’une utilisation active de la monnaie. C’est plus les éléments du commerce international, les cours des matières premières qui sont fondement de cette croissance. Donc je crois que la monnaie ne joue pas suffisamment son rôle dans l’émergence de l’Afrique. Après ça peut être un débat de doctrine. Moi je crois à la non neutralité de la monnaie. Evidemment ceux qui tiennent nos banques centrales et qui sont des monétaristes avérés pensent que la monnaie est neutre dans une économie.

Quand on voit ce qui s’est passé en Grèce dans la zone euro, quel enseignement peut-on en tirer ? (Frédéric Maury).


L’enseignement est simple. C’est qu’une économie faible ne peut pas avoir une monnaie forte durablement. Le coût de l’ajustement est trop fort. Donc comme vous ne pouvez plus utiliser l’arme monétaire, vous n’avez plus que le budget. Or le problème c’est que la cure d’austérité qu’on a imposée à la Grèce est de nature budgétaire. Ce qui fait que vous réduisez vos dépenses publiques. Et comme vous réduisez vos dépenses publiques vous ne financez plus votre croissance or vos recettes fiscales sont corolées (liées, Ndlr) positivement à la croissance. Comme votre croissance ne suit plus vos recettes fiscales ne suivent pas non plus. Vous êtes encore obligés de réduire vos dépenses publiques pour arriver à un hypothétique équilibre budgétaire. Comme vous réduisez vos dépenses publiques, la mécanique infernale continue, ce qui fait qu’à un moment donné vous n’auriez même plus de dépenses publiques, vous n’aurez pas de croissance non plus et vous n’aurez pas de recettes fiscales non plus. C’est ce que nous appelons la «proscricité» des règles budgétaires. Je crois que les pays de la zone franc devraient s’inspirer de l’exemple grec pour voir dans quelle mesure ils pourraient développer d’un côté, plus de solidarité budgétaire et de l’autre, mettre en phase la monnaie avec les fondamentaux de nos économies.


Mais comment est-ce que c’est jouable avec deux banques centrales pour le franc CFA, voire même trois puisqu’il y a la banque centrale européenne d’une certaine manière, il y a la BCEAO et la BEAC ?

Oui mais là c’est la volonté politique. C’est quand même bizarre que le franc CFA de l’Afrique de l’Ouest n’est pas convertible en Afrique centrale. C’est-à-dire que quand moi j’étais à la BCEAO et que j’avais une mission à faire dans la zone BEAC, on me donnait mes frais de mission en euro et arrivé à Yaoundé ou à Douala, que je convertissais en franc CFA d’Afrique Centrale. Alors effectivement si on veut que la zone CFA soit un jour une zone monétaire optimale, il faudrait commencer par avoir le même franc CFA convertible sur tout l’espace de la zone franc.

Effectivement qu’il y a des campagnes présidentielles qui arrivent en Côte d’Ivoire, au Burkina, au Bénin etc. Il y a au le Niger aussi, est-ce que vous pensez que le franc CFA doit être au cœur du débat ? Parce qu’il l’est rarement le franc CFA (Frédéric Maury).
Oui il l’est rarement parce que c’est un tabou monétaire.

Ce n’est pas un tabou politique ?

Non ce n’est pas un tabou politique parce qu’on a déconnecté la gestion du franc CFA du quotidien des populations. Aujourd’hui, personne en Afrique zone franc ne peut vous dire exactement comment fonctionne cette monnaie. Quand vous allez au Nigeria, quand vous allez au Ghana , n’importe quel citoyen de base s’intéresse au fonctionnement de la monnaie.


La seconde partie dans notre prochaine parution.

Transcription : Isidore Akollor
Actu EXPRESS N°346 du 8 septembre 2015





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