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Togo : une "démocratie" sous Rangers
Publié le samedi 12 septembre 2015  |  Letogolais


© Autre presse par DR
Célébration du 54ème anniversaire de l’indépendance du Togo
Dimanche 27 avril 2014. Lomé. Un grand défilé militaire et civil a marqué la célébration du 54ème anniversaire de l’accession du Togo à l’indépendance en présence du président Faure Gnassingbé.


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Par David Kpelly

Coincé entre le Ghana, le Bénin et le Burkina Faso, le Togo vit depuis des décennies sous le joug de la dictature. Répression, étouffement de la liberté d’expression, le plus petit pays d’Afrique est celui « où les gens sont les plus malheureux du monde »1. Le journaliste togolais David Kpelly raconte – et dénonce – cet état de fait.


Il y a, aujourd’hui, un certain désespoir, un goût d’aveu d’impuissance quand on décide de parler du Togo. Parce qu’on a beau être déterminé, coriace et optimiste on finit toujours par douter, faiblir, se résigner devant certaines situations, certains drames qui durent trop.


Le Togo. Voilà un petit pays en superficie, 56 600 km2, l’un des plus petits pays d’Afrique, morceau restant d’un gâteau dans lequel avaient mordu l’Allemagne, l’Angleterre et la France, le Togo donc, ce petit pays en superficie, qui présente, pourtant, la particularité d’être l’un des laboratoires où se sont expérimentés, s’expérimentent les plus grands drames ayant frappé l’Afrique après les indépendances : coup d’État, armée tribale et sanguinaire, dictature, parti unique, soulèvements populaires sans fin, assassinats d’opposants, d’intellectuels et de journalistes, mandats éternels, élections truquées et sanglantes, succession de père en fils…

Oui, le Togo seul a couvé, et couve encore, toutes ces calamités qui ont traîné dans la fange l’Afrique depuis les années 1960. Après trente-huit ans de dictature d’Eyadema Gnassingbé, prototype parfait du dictateur loufoque, roublard et sanguinaire, l’armée largement tribale, foulant aux pieds la constitution, a, en 2005 à la mort du dictateur quarantenaire, imposé son fils, Faure Gnassingbé à un peuple qui voulait de tout sauf de lui. Un peuple qui s’est soulevé, mais qui fut massacré. Résultat de la tuerie : plus de cinq cents morts.

Le fils, nageant au ras de la mare de sang née de la tuerie, s’assit sur le fauteuil de son père. Et il est là. Depuis dix ans. Deux mandats de cinq ans déjà bouclés, le troisième entamé depuis quatre mois, continuant, avec un plaisir sadique, de martyriser un Togo que l’Organisation des Nations Unies se plaît, depuis quelques années maintenant, à classer comme le pays où les habitants sont les plus malheureux au monde, sans jamais avoir pensé, l’ONU, à remettre en cause les résultats des élection législatives et présidentielles qui se soldent toujours par la « victoire » de ce même régime qui a toujours traîné le peuple dans la boue. Un Togo glauque, coincé entre un Ghana qui n’a rien à envier aux grandes démocraties occidentales, un Bénin qui change de régimes sans tambour ni trompette, et un Burkina Faso qui, cahin-caha, s’est libéré depuis un an de son vieux démon : Blaise Compaoré.

Là, le Togo, tel une taie dans un monde brillant qui avance. On le dit – dans les médias que le pouvoir cinquantenaire corrompt – de plus en plus démocratique, de plus en plus respectueux de la liberté d’expression.

Et le dernier à avoir expérimenté cette démocratie, cette liberté d’expression est Sébastien Alzrerreca. Ce Français ayant ouvert un centre culturel à Lomé, la capitale togolaise, depuis 2010, dans un pays où à part le très sélectif centre culturel français les jeunes créateurs n’ont presque aucun endroit pour s’exprimer, ce Français donc, Sébastien Alzerreca, condamné à deux ans de prison avec sursis, interdit du territoire togolais pour cinq années, son centre culturel fermé. Son crime : avoir, durant la dernière élection présidentielle d’avril 2015, « publié des commentaires tendancieux sur Internet ». Et dans le Togo démocratique, le Togo de la liberté d’expression, « un commentaire tendancieux » est un commentaire qui n’applaudit pas le pouvoir en place, qui le remet en cause, le critique.

Bonnes gens, si vous passez un jour par le Togo, pays où il y a à peine deux mois un journaliste, Bonero Lawson, a été jeté en prison pour ses écrits, pays où, au moment où ces lignes sont en train d’être rédigées, deux journalistes sont harcelés pour avoir fait un reportage sur les mauvaises conditions de détention à la prison civile de la capitale togolaise, si vous passez, bonnes gens, un jour par ce pays démocratique et de la liberté d’expression, retenez-le : ne critiquez pas le pouvoir en place depuis cinquante ans. Applaudissez-le dans la prévarication, la corruption, le vol, les meurtres… applaudissez-le, durant les élections, quand il bourre les urnes, achète des consciences, menace des opposants, fait voter des électeurs fictifs… applaudissez le fils qui totalise avec son père quarante-huit ans à la tête d’une république. Et vous y jouirez alors, au Togo démocratique et libre, de la démocratie et de la liberté d’expression.

Notes :
1 World Hapiness Report, ONU, 2015

> Retrouver le livre Pour que dorme Anselme, de David Kpelly aux éditions Awoudy (2015).
> Découvrir les blogs de David Kpelly : Agenda de ma boucherie et Afrique mon Pleurer-Rire – Humeurs africaines de David Kpelly

David KpellyNé en 1983 à Tsévié, au sud du Togo, Yao David Kpelly vit, étudie et enseigne le Marketing et la Communication à Bamako, au Mali. Il signe des contributions dans des journaux en ligne comme koaci.com, icilome.com, togocity.com. Auteur de quatre recueils de nouvelles, il est lauréat du Prix littéraire France-Togo 2010 et du Prix de la meilleure nouvelle de langue française du Festival international Plumes francophones (Lomé) 2012.
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