Le Burkina Faso continue d’occuper la une de l’actualité politique sur le continent africain, avec la traque des auteurs et commanditaires du coup d’Etat du 16 septembre 2015. Aux dernières nouvelles, la justice a lancé un mandat d’arrêt international contre l’épouse de Gilbert Diendéré, Fatoumata (ou Fatou) réfugiée au Togo en compagnie de ses enfants. Mais la question qui se pose est de savoir si le pouvoir de Faure Gnassingbé, accusé à tort ou à raison dans certains milieux à Ouaga d’être en intelligence avec les putschistes, va la faire appréhender et extrader dans son pays. Comme il n’avait pas hésité à le faire pour Lida Kouassi. L’innocence de Lomé se trouve tout de même à ce prix.
Fatou Diendéré objet d’un mandat d’arrêt international
La chasse aux auteurs et commanditaires du coup d’Etat manqué du 16 septembre dernier continue au Burkina Faso. C’est un secret de Polichinelle, le cerveau du putsch qui a fait quatorze (14) morts et deux cent cinquante (250) blessés, le Général Gilbert Diendéré, appréhendé depuis le 1er octobre dernier et gardé à la Maison d’arrêt et de correction de l’armée (Maca), est inculpé pour crime contre l’humanité et dix (10) autres chefs d’accusation.
«Il risque la peine de mort», a confié en conférence de presse le vendredi 16 octobre dernier le Colonel Sita Sangaré, nouveau Directeur du Tribunal militaire qui a rappelé à toutes fins utiles que la peine capitale n’est pas encore abolie au Burkina Faso. Bien avant, ses avoirs ont été gelés, de même que ceux de vingt-deux (22) autres personnes physiques ou morales aussi inculpées dans cette affaire. L’homme vient d’être déchu de la distinction honorifique de chevalier de la Légion d’honneur à lui accordée en mai 2008 par l’ancien président français Nicolas Sarkozy. L’information a été rendue publique en ce début de semaine par l’ambassadeur de France au Burkina, Gilles Thibault. Mais il ne devrait pas être seul en prison. Sa femme pourrait l’y rejoindre sous peu.
Selon les informations relayées par plusieurs organes ouagalais, un mandat d’arrêt international vient d’être lancé contre Fatoumata Diendéré, la femme du Général putschiste que certains disent avoir joué le rôle de Simone Gbagbo dans le cas de la résistance de Laurent Gbagbo suite à l’élection présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire. Des indiscrétions font même état de ce que Gilbert Diendéré voulait la positionner pour la course à la présidence de la République.
Elle était en tout cas candidate aux législatives, mais son dossier a été recalé par le Conseil constitutionnel. A en croire les médias burkinabés qui tiendraient l’information des sources policières et judiciaires, Fatou Diendéré, la 7e Vice-présidente du Congrès pour la démocratie et le progrès (Cdp), ex-parti au pouvoir dissous, aurait trouvé refuge à Lomé au Togo depuis plusieurs semaines. «L’information est donnée par le journal L’observateur de ce vendredi.
L’exfiltration de madame Diendéré était l’une des conditions posées par le Général Gilbert Diendéré pour sa reddition. D’après certaines sources, c’est le Président Kafando qui a directement négocié avec son homologue togolais, le président Faure Gnassingbé pour accueillir Madame Diendéré et ses enfants au Togo. C’est après l’accord de ce dernier que le Général, chef de l’éphémère junte qu’il a dirigée, a accepté de sortir de la nonciature où il s’était réfugié, pour se rendre aux autorités burkinabés. La négociation s’est déroulée au téléphone avant le départ du président de la Transition à New York », rapportait le lundi dernier le site d’information ouaga24.com, sous le titre plutôt affirmatif : « Exfiltrée, Fatou Diendéré se trouve à Lomé ». Des sources dans la capitale togolaise confirment avoir aperçu samedi dernier la dame, en compagnie de ses enfants, au supermarché Ramco sis sur le site de l’ancienne Goyi Score, en train de faire du shopping.
Le Togo, comme un repaire pour les commanditaires du putsch
Décidément le nom du Togo revient beaucoup dans l’actualité au Burkina Faso, et du mauvais côté. Notre pays donne l’impression d’être un repaire pour les commanditaires du putsch manqué. Récemment, c’est l’ancien ministre des Affaires étrangères Djibril Bassolé qui y a élu domicile après la révolution populaire qui a chassé en octobre 2014 son patron Blaise Compaoré du pouvoir. Il a été même officieusement embauché par le Prince comme Conseiller spécial sur cette rodomontade de conférence sur la sécurité maritime que comptait organiser le Togo en novembre prochain. Mais la justice burkinabé découvrira son implication dans le putsch manqué. Une perquisition opérée à son domicile a permis de trouver des armes de guerre, preuves suffisantes de son implication dans le coup d’Etat. Il est appréhendé le 29 septembre dernier et poursuivi pour six (06) chefs d’inculpation. Aujourd’hui c’est le tour de la femme du Général putschiste lui-même d’être accueillie à Lomé.
Dans un premier temps, on pourrait prendre l’hospitalité à elle accordée sous l’angle d’un geste humanitaire – hum. Il fallait dans l’absolu, dans un Burkina chauffé à blanc où la peur a changé de camp et l’envie d’en finir avec les putschistes et leurs proches est forte, offrir protection à la dame et surtout ses enfants qui ne devraient absolument pas répondre des turpitudes de leur conjoint et géniteur. Mais avec son implication officielle dans le coup d’Etat qui a fait une quinzaine de morts gratuites et près de 250 blessés, elle ne semble plus mériter de faveur. Et c’est à juste titre que sa présence dans nos murs fait gerber au sein de l’opinion. Voici certaines réactions concoctées sur la toile : « C’est seulement au Togo qu’elle pourra trouver refuge et les Togolais vont se taire, parce qu’ils ne savent pas que c’est à eux de décider de ce qui doit se passer sur le territoire » ; « Il faut soutenir les voisins qui veulent avancer, c’est ce qui nous a manqué au Togo et on tourne en rond» ; « Si Madame Fatou Diendere s’est refugiée au Togo, que la justice burkinabé demande son extradition et qu’elle réponde aux crimes qui lui sont reprochés. Et j’espère que le Togo la remettra au Burkina Faso, tout comme certains exilés ivoiriens qui ont été arrêtés et remis au gouvernement de la CI (Côte d’Ivoire, Ndlr) ». Le débat est justement lancé.
Faure Gnassingbé va-t-il extrader Fatou ? Le cas Lida Kouassi
Au Burkina Faso, avec le lancement de ce mandat d’arrêt international contre Fatoumata Diendéré, on la voit déjà subir le sort de Charles Taylor, à une exception près. L’ancien chef de guerre libérien avait en effet reçu toutes les assurances de prendre un repos sabbatique au Nigeria, bien protégé et pas du tout inquiété, après ses crimes commis en Sierra Leone. Mais il a fini par être poursuivi par la Cour pénale internationale (Cpi) pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre, extradé du Nigeria, transféré à la Haye et condamné à 50 ans de prison.
Ainsi les Burkinabés voient déjà Fatou Diendéré subir le même sort, la comparution devant la Cour pénale internationale en moins, elle qui est accusée d’avoir joué le rôle civil de son époux militaire dans ce putsch. Mais avant d’en arriver là, il faudra que Lomé accepte de l’arrêter et de la remettre aux autorités du Burkina Faso afin qu’elle réponde de ses actes. Conformément aux procédures du droit international et de la police internationale Interpool dont le Togo est partie, notre pays est contraint de coopérer. Mais c’est justement ici que rien n’est gagné d’avance. Il n’est tout de même pas inopportun de rappeler une jurisprudence récente.
Réfugié depuis juin 2011 avec toute sa famille après la chute de Laurent Gbagbo en 2010 suite à l’élection présidentielle d’alors au Togo où il jouit de ses libertés de mouvements et même se rendait régulièrement au Ghana où ont trouvé asile la plupart des ex-barons de l’ancien pouvoir, l’ancien ministre de la Défense, Lida Kouassi fut accusé par le gouvernement d’Alassane Ouattara d’« activités subversives » visant à « déstabiliser » la Côte d’Ivoire. Et suite au mandat d’arrêt international lancé contre lui par l’Etat ivoirien, il fut appréhendé le 6 juin 2012 et livré aux autorités d’Abidjan sans autre forme de procès. Cette arrestation avait étonné plus d’un, d’autant plus que l’homme n’était plus vraiment aux avant-postes du régime de Laurent Gbagbo. « (…)
Son arrestation et sa livraison en quelques heures à Abidjan visent-elles à faire un exemple? En clair, à faire peur aux plus irréductibles de l’ancien régime pour la plupart réfugiés au Ghana ? Quoi qu’il en soit, le président togolais a fait un beau cadeau à son homologue ivoirien, estiment plusieurs observateurs. Quelle pourrait être la contrepartie ? Faure Gnassingbé est en difficulté avec son opposition. Celle-ci l’accuse de préparer des législatives biaisées, avec en particulier un découpage électoral taillé sur mesure. L’influence d’Alassane Ouattara sur la Cédéao qu’il préside, pourrait, explique une source bien informée, amener l’organisation régionale à ne pas trop s’offusquer d’un passage en force du président Faure et de son parti. Il y a quelques mois, la position de Lomé avait été fragilisée. A la fin de l’année dernière, la cour de justice de la Cédéao avait débouté le régime togolais jugeant illégale sa mesure d’exclusion de plusieurs députés de l’opposition des bancs de l’Assemblée nationale », avait glosé à l’époque le confrère RFI sur son site, sous le titre : « Côte d’Ivoire : Moïse Lida Kouassi, arrêté au Togo, est accusé de «déstabiliser» le régime d’Abidjan ». Alors Faure Gnassingbé va-t-il coopérer avec le gouvernement de la Transition, faire arrêter Fatou Diendéré et la remettre aux autorités burkinabés ?
La question reste posée. Il faut avouer que c’est un test d’innocence qui est fait au Togo, accusé dans certains milieux d’avoir prêté main aux putschistes. L’enjeu pour Faure Gnassingbé, c’est de prouver que son régime n’est ni de près ni de loin mêlé à ce coup d’Etat…