Affaire d’escroquerie et volet Pascal Bodjona /La Cour suprême rejette les moyens de droit soulevés par les avocats de la défense : L’ancien ministre désormais face à son destin
Publié le samedi 23 novembre 2013 | lalternative-togo
La scabreuse affaire dite d’escroquerie internationale qui sécoué le pays au point de conduire en prison l’homme d’affaire Sow Agba Bertin, Pascal Bodjona, Loik Le Floch-Prigent ne finit pas de faire des vagues. Même si les principaux acteurs sont désormais en liberté, le volet judiciaire de ce dossier qui pue un montage politique grotesque continue son petit bonhomme de chemin avec ses surprises, ses rebondissements, avec une justice totalement aux ordres d’un homme qui s’en sert avec un cynisme sans précédent pour écraser ses adversaires réels ou supposés.
Pascal Akoussoulèlou Bodjona, l’ancien homme fort du régime tombé en disgrâce, se bat depuis plusieurs mois un an après sa sortie de détention à la Gendarmerie nationale pour retrouver son honneur d’homme politique, bref, de citoyen. Mais c’est sans compter avec le rôle presque moyenâgeux que les tenants du pouvoir font jouer à la justice togolaise, avec des magistrats incapables de prendre de la hauteur ou d’assumer leurs fonctions en toute responsabilité. Hier à Agbalépédo, à quelques encablures du domicile de Pascal Bodjona lui-même, la Chambre judiciaire de la Cour Suprême du Togo a ajouté son grain de sel à cette farce, mieux, cette tragie-comédie qui se joue depuis bientôt deux ans. Le Floch-Prigent n’avait-il pas raison de comparer le Togo du fils Eyadema à celui de la Corée du Nord de Kim IL Sung et progéniture?
Le Togo est le seul pays au monde qui a inventé ses propres regles de droit. Rien à avoir avec le droit enseigné depuis des siècles par les érudits dans les universités et les grandes écoles à travers le monde. Dans ce petit pays de l’Afrique de l’Ouest régenté par une seule et même famille depuis 50 ans, seule la volonté de Faure Gnasisngbé compte et les sujets vivants sur ce bout de terre doivent s’en accommoder sans le moindre bruit.
C’est du reste ce que viennent de prouver une fois encore ces juges de la chambre judiciaire de la Cour Suprême qui se sont rétractés et ont rejeté les points de droit soulevés par les avocats de la défense. Une décision assez surprenante qui ne s’appuie sur aucun texte de loi en vigueur au Togo. Et pourtant le 17 octobre dernier, à travers un rapport que certains qualifient d’exemplaire illustré des références du Code de procédure pénale, le président de la Chambre judiciaire de la Cour suprême, Abdoulaye Yaya, un juge réputé très « intelligent et compétent » appelé à se prononcer sur le pourvoi interjeté par les avocats du ministre Bodjona contre l’arrêt de la chambre d’accusation tendant à annuler l’audition sous la fois scellée et sacrée du serment, s’était emporté contre l’acte de la chambre d’accusation de la Cour d’appel la qualifiant même « d’errements juridiques » et de « turpitudes ».
Ce magistrat a été d’ailleurs, à la surprise générale, suivi par le Parquet général dans ses réquisitions adoptant trois des quatre moyens soulevés par les conseils de l’ancien ministre. Cette audience du 17 octobre et ses conclusions ont résonné au sein du pouvoir comme un coup de tonnerre dans un ciel serein.
Il fallait donc tout faire pour que la justice ne donne pas raison à Pascal Bodjona et lui ouvre le chemin d’une nouvelle ambition qui pourrait mettre à mal le seul et unique détenteur du titre foncier du Togo, Faure Gnassingbé. Les faiseurs de basse besogne au sein du pouvoir se sont mis en branle avec des pressions énormes sur les juges. Coups de fils intempestifs des proches collaborateurs de Faure ou de hauts gradés des FAT par-ci, menaces par-là. Les juges qui faisaient preuve de lucidité le 17 octobre ont perdu du coup la raison un mois plus tard en ravalant de façon surprenante et ahurissante les grandes lignes du rapport qu’eux-mêmes avait esquissées lors de l’audience précédente.
La Cour Suprème, pour satisfaire les désirs du prince et ses flagorneurs de collaborateurs véreux, a rejeté hier les solides moyens de droits soulevés par les avocats du ministre Pascal Bodjona, ouvrant ainsi la voie à une suite judiciaire de ce scabreux et puant dossier. Les magistrats togolais, même ceux réputés intelligents et compétents n’ont pas eu le courage de dire non à une nouvelle caporalisation en faisant honneur à leur toge, et par-delà, au noble métier qu’ils exercent. La survie, les belles choses et l’argent ont eu raison de leur intégrité. Les Togolais peuvent désormais faire le deuil de la justice de leur pays.
Ainsi Faure Gnassingbé, le seul et unique instigateur de tout ce scénario peut désormais savourer sa victoire, celle de maintenir une épée de Damoclès permanente sur la tête de son ancien collaborateur dont il imagine facilement les intentions. Quant à Pascal Bodjona, certains croient qu’il fait preuve d’une naïveté ambiante en mettant son espoir sur une justice totalement aux ordres d’un seul homme alors que le dossier dit d’escroquerie internationale est bel et bien politique. Tout comme Kpatcha Gnassingbé qui attend une hypothétique libération qui ne vient jamais au point de ne rien faire pour contrarier son frère de président, Pascal Akoussoulèlou Bodjona aussi prend le risque de n’activer aucun de ses réseaux, croyant naïvement que cette affaire va se résoudre d’elle-même. On est tenté de dire qu’il ne connaît pas le système qu’il a servi durant des années.
La décision de la Chambre judiciaire de la Cour Suprème de ce 21 novembre 2013 montre une fois de plus jusqu’où son ancien ami compte le maintenir sous surveillance et l’empêcher d’exprimer une quelconque ambition. La justice togolais a définitivement montré ses limites, Pascal Bodjona est désormais face à son destin. Au lendemain de sa libération après plus de 8 mois de détention à la Gendarmerie nationale, l’ex homme fort du régime déclarait que personne dans ce pays ne pourra l’empêcher de faire de la politique. Mais en politique, qui n’ose rien n’a rien. A présent que ses détracteurs ont montré jusqu’où ils peuvent aller avec lui, c’est à lui-même de tirer les leçons idoines car l’engagement politique a toujours un prix.