Sept mois après les élections présidentielles, le régime vient de se donner un nouveau code pénal. Un code pénal évidemment plus répressif que le précédent. L’Assemblée l’a adopté le 2 novembre 2015. L’ANC se serait abstenue ; son représentant a, bien entendu, dénoncé le caractère répressif du code. Le représentant de l’ADDI a expliqué devant la presse qu’il ne servirait à rien de refuser de voter la loi puisque, a-t-il laissé entendre, la majorité parlementaire va de toute façon l’adopter. Pour le moment, le CAR est resté très discret sur la question ; les responsables de ce parti ont peut-être jugé mieux de garder le silence.
Le régime disposant effectivement d’une majorité écrasante à l’Assemblée, l’opposition parlementaire n’a le choix qu’entre dénoncer pour la forme, voter la mort dans l’âme ou se taire. Dans un cas comme dans l’autre, elle reste dans son rôle : « Les chiens aboient, la caravane passe… » Même si les partis de cette opposition parlementaire étaient parvenus à adopter une position commune face à ce nouveau code pénal, ils n’auraient rien pu faire contre le rouleau compresseur du parti au pouvoir. Qu’ils le veuillent ou non, ils sont obligés de continuer d’accompagner le régime dans sa détermination de se maintenir au pouvoir par tous les moyens. Tout cela repose encore avec force le problème de la nécessité d’une opposition extraparlementaire cohérente et forte.
Les patrons de presse et les organisations des journalistes se sont sentis particulièrement visés par le nouveau code pénal. Ils ont raison. L’article 497 est effectivement une véritable agression contre la liberté de la presse et de l’information. Le code pénal antérieur n’était déjà pas si tendre ! Le régime avait fini par procéder à la dépénalisation du délit de presse dans le cadre des « 22 engagements » de l’Union européenne en 2004, juste pour donner l’illusion de démocratiser. Dans la foulée, il crée la HAAC le 15 décembre 2004, et confie à Kokou Tozoun la charge de tenir fermement l’épée de Damoclès au-dessus de la tête des patrons de presse et des journalistes.
Il est abusif de dire que la presse était devenue vraiment libre depuis la dépénalisation des délits de presse et la création de la HAAC. Le maniement souvent brutal de l’épée de Damoclès associé à une corruption ouverte des milieux de la presse et de l’information avait fortement poussé à l’autocensure dans le secteur.
Des journalistes avaient été jetés en prison, d’autres condamnés à payer de lourdes amendes ; d’autres encore molestés sans ménagement lors des manifestations… Une fois sortis de prison, certains d’entre eux prirent le parti d’aller à la mangeoire eux aussi.
La stratégie destinée à museler la presse et la domestication de nombre de journalistes fut ainsi d’une terrifiante efficacité.
La presse n’avait plus d’autre parti à prendre que de se laisser soumettre ; souvent même d’aller au devant des désirs du pouvoir. Si bien qu’entre le régime et la plupart des organes de presse, tout semblait baigner dans l’huile, jusqu’à l’annonce de ce nouveau code pénal.
A quelques exceptions près, les détenteurs du « quatrième pouvoir » donnaient le sentiment d’être comblés. Des patrons de presse et des journalistes n’hésitaient plus alors à juger sévèrement et à condamner sans rémission « l’opposition », avec tout le mépris dont ils sont devenus capables, y compris ceux qui, parmi eux, avaient manifesté un temps une certaine sympathie pour la lutte d’opposition.
Dans ces conditions, la sortie inopinée du nouveau code pénal, avec son article 497, ne pouvait que surprendre. L’article mit en ébullition cette presse si « correcte » dans son ensemble. Patrons de presse et journalistes montèrent au créneau.
Ceux qui, parmi eux, portèrent l’affaire sur la place publique lors du club de la presse du 3 novembre 2015 parlèrent de « désolation totale » dans la profession. Ils estiment avoir été délibérément écartés du montage du projet, et ils profèrent des invectives contre « les politiciens de l’Assemblée, toutes tendances confondues ». Ils ont ainsi manifesté violemment leur détermination à se battre pour maintenir la profession sous le régime moins répressif du code de la presse.
Il faut reconnaître que le projet du nouveau code pénal n’a pas fait l’objet d’un débat dans les journaux, pas plus que dans l’opinion.
Et pourtant, avant son adoption au pas de charge le 2 novembre 2015, la commission des lois aurait étudié le projet pendant quatre mois, et l’Assemblée l’aurait examiné pendant deux semaines dans ses plénières.
La presse a-t-elle été délibérément tenue à l’écart ? Cela ne saurait surprendre. Concocté dans l’opacité par le régime après les présidentielles de 2010, le nouveau code de l’opposition fut adopté dans des conditions similaires le 12 juin 2013 : il a institué la fonction de « chef de file de l’opposition » et, dans les faits, réduit l’opposition à l’opposition parlementaire. Le CAR avait rejeté le projet ; l’UFC l’avait voté de concert avec le parti au pouvoir ; ceux qui vont créer l’ANC le 10 octobre 2010 étaient encore exclus de l’Assemblée, et se préoccupaient alors plus de la récupération de leurs indemnités de député que d’autres choses !
Tous ceux qui avaient abusivement proclamé en 2006 que la démocratie est instaurée au Togo et qu’il ne reste plus qu’à la « consolider », devraient tirer des leçons de cette affaire de nouveau code pénal. S’il en était ainsi depuis ce temps, la presse aurait été associée d’une façon ou d’une autre à l’examen du projet ; ou elle aurait de toute façon trouvé le moyen de s’en saisir dans le but d’informer l’opinion ; la déontologie de la profession l’aurait tout naturellement amenée à créer des occasions d’un large débat pour permettre aux citoyens de peser sur la décision finale.
Une des particularités du régime en place réside dans le fait que les détenteurs du pouvoir préfèrent toujours prendre leurs décisions entre eux, dans l’opacité, loin des yeux et des oreilles. Ce mécanisme est antidémocratique. Il prouve que la démocratie n’est pas instaurée dans le pays, et qu’il n’y a, par conséquent, rien à « consolider » sous cet angle.
Il est rassurant de voir les organisations de la presse afficher clairement leur détermination à se battre contre l’article 497 du nouveau code pénal. A partir du moment où l’article ressort de façon aussi évidente comme une agression délibérée contre la liberté de penser, d’écrire, de diffuser, le problème ne saurait être considéré comme faisant partie d’un domaine réservé aux patrons de presse, aux journalistes et aux organisations de la presse. Le problème concerne tous ceux qui se battent depuis si longtemps pour le changement démocratique.
Parmi ceux-ci, les partis d’opposition sont tout naturellement au premier rang. Ils ont le devoir de s’impliquer dans ce combat, de soutenir les patrons de presse et les journalistes, de défendre avec eux les intérêts légitimes de la profession et, par-delà, ceux des citoyens dans leur ensemble. Et ils doivent s’y impliquer, même si certains des acteurs de la presse et de la communication peuvent se sentir gênés par cette implication. La liberté de la presse et de l’information est une des premières conquêtes collectives de la lutte d’opposition pour la démocratie.
Mais il faut aller plus loin. L’article 497 n’est pas le seul article liberticide parmi les 1205 articles de ce nouveau code de la presse.
En plus, les journalistes ne sont pas les seuls exposés aux rigueurs du 497. Tous ceux qui se sentent concernés par le problème politique togolais, réfléchissent sur le devenir du pays, n’acceptent pas les méthodes du régime, critiquent l’action gouvernementale, revendiquent un mieux être pour la masse de la population… peuvent, eux aussi, tomber fatalement sous le coup de cet article à tout moment. Y compris tous ceux qui, faute d’une information suffisante, seront forcément amenés à prendre en toute innocence une rumeur pour une information au cours de ce troisième mandat de Faure. Et ces derniers représentent la grande masse de la population.
Aussi, c’est l’ensemble du nouveau code pénal qui est répressif, même si l’on y trouve de temps à autres quelques dispositions intéressantes. C’est donc l’ensemble du texte qu’il faut mettre en cause, et dont il faut demander la révision.
Les débats houleux qui ont précédé l’élection présidentielle d’avril 2015 n’ont résolu aucun des multiples problèmes de fond qui secouent la société togolaise : Problème de ce troisième mandat de Faure Gnassingbe ; problème de la limitation du mandat présidentiel ; problème du code électoral, notamment la nature et des modalités de fonctionnement de la CENI… A ces problèmes politiques s’ajoutent une foule de problèmes d’ordre social comme ceux de l’enseignement, de la santé, de la justice, sans compter la question récurrente du coût de la vie et ses multiples conséquences…
Les détenteurs du pouvoir ont conscience que tous ces problèmes reviendront forcément au devant de la scène politique d’un moment à un autre ; et qu’ils pourraient ne pas faire du troisième mandat de Faure un long fleuve tranquille. C’est pourquoi le régime entend se donner dès à présent un instrument de répression encore plus efficace, pour lui permettre de dissuader toute contestation et de mieux museler l’opposition.
C’est de bonne guerre. Il revient aux partis de l’opposition démocratique de prendre la bonne mesure des enjeux, afin de pouvoir se donner les moyens de conférer à la lutte d’opposition plus d’efficacité.
La CDPA-BT avait déjà fait des propositions dans ce sens. Le cours actuel de l’évolution de la situation politique et sociale donne encore plus d’actualité à ces propositions.