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L'Alternative N° 482 du

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Les forces armées en Afrique francophone
Publié le vendredi 11 decembre 2015  |  L'Alternative


© Autre presse par DR
Célébration du 54ème anniversaire de l’indépendance du Togo
Dimanche 27 avril 2014. Lomé. Un grand défilé militaire et civil a marqué la célébration du 54ème anniversaire de l’accession du Togo à l’indépendance en présence du président Faure Gnassingbé.


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Une tentative de coup d’État « vintage », typique des années 1960, vient de se dérouler au Burkina Faso : des éléments de la garde présidentielle (le RSP, Régiment de sécurité présdentielle) ont pris en otage le Président et le Premier ministre, nommés moins d’un an auparavant et chargés de la transition vers des élections qui devaient se tenir le 11 octobre. L’armée est finalement intervenue pour faire échouer le coup de force. Ainsi, cinquante cinq ans après les indépendances, le rôle des militaires est toujours central en Afrique. Des avancées démocratiques sont enregistrées mais elles semblent moins dues à une volonté politique des dirigeants ou un « réveil des peuples » qu’à une évolution de la doctrine militaire sur la gestion de l’État.


Du départ de Blaise Compaoré au Burkina Faso, y compris le sauvetage de l’ordre institutionnel par l’armée, et de l’élection de Muhammadu Bouhari au Nigeria, deux lectures sont possibles. Assistons-nous à un renforcement de la démocratie en Afrique subsaharienne dans la continuité du paradigme démocratique ouvert sur le continent africain par les conférences nationales des années 1990 ? À l’inverse, faut-il plutôt lire dans le retour au pouvoir au Nigeria d’un ancien militaire putschiste et dans le remplacement de Blaise Compaoré au Burkina Faso par l’ancien chef de sa garde présidentielle, Isaac Zida, avant de devenir Premier ministre de transition, le recyclage d’une tradition politique africaine depuis les indépendances qui place les militaires au centre du débat politique et institutionnel ? En France, le récent rapport parlementaire de Philippe Baumel sur l’Afrique francophone explique comment la doctrine militaire française a, de fait, pris le dessus des relations diplomatiques de la France avec l’Afrique1. L’objet de cette note est de comprendre la place des militaires dans la tradition politique africaine à la lumière de son histoire politique depuis la fin de la colonisation et des derniers développements du djihadisme terroriste.



Même si la contestation de la société civile au Burkina était ancienne et structurée, la rapidité de la chute de Blaise Compaoré en novembre dernier a surpris. Tout aussi surprenant est l’empressement avec lequel une bonne partie de cette même société civile s’est jetée dans les bras des forces armées, « les corps habillés2 » selon l’expression la plus courante en Afrique subsaharienne, pour maintenir un ordre constitutionnel. Elle a réussi à convaincre les chancelleries d’accepter cette nouvelle donne politique. Ainsi, en quelques semaines, l’ex-chef de la garde présidentielle est devenu Premier ministre d’un Président civil et ministre de la Défense avec la bénédiction de la société civile et l’accord a posteriori et contraint de la communauté internationale. Le projet de dissolution de la garde présidentielle burkinabé et l’exclusion du scrutin présidentiel des anciens caciques du régime Compaoré ont amené certains éléments de cette première à tenter un nouveau coup de force.

Les militaires sont encore et toujours au cœur de la plupart des crises politiques que l’Afrique francophone a connues ces dix dernières années : au Togo en 2005, en Guinée, au Tchad et en Mauritanie en 2008, en Côte d’Ivoire en 2010, au Niger en 2011, au Mali en 2013, au Burkina Faso en 2014 et aujourd’hui. Pourtant, dès 1990, un premier « printemps africain », consécutif au discours de La Baule avait fait tomber les régimes militaires du Mali, du Niger et du Bénin et déstabilisé en profondeur les régimes du général Eyadema au Togo ou de Paul Biya au Cameroun. Des régimes civils se mettaient en place progressivement. En 1999, trois coups d’État militaires, en Côte d’Ivoire, en Guinée Bissau et au Niger, avaient amené la communauté internationale à intervenir fermement pour que les juntes militaires cèdent la place à des régimes civils élus. Après ces pressions internationales, y compris africaines au travers de l’Union africaine ou de la CEDEAO3, les chancelleries et les institutions onusiennes ou régionales avaient pu espérer un temps que les militaires allaient enfin rester dans leurs casernes et se concentrer sur ce pourquoi ils existent : la défense de leur pays contre des agressions externes. Hormis le Tchad, aucun de ces pays, jusqu’à l’implosion libyenne, ne pouvait mettre en avant une menace extérieure pour expliquer le rôle central des forces militaires dans les crises politiques. Pendant cette période, rares sont les pays africains, hormis le Sénégal et le Bénin, qui ont pu vivre des alternances ou des élections dans un contexte démocratique et transparent.

Les théories classiques du militarisme en Afrique

La recherche en sciences politiques sur le rôle des armées construites autour de la protection de l’État, de fait la protection des régimes politiques, a appelé ce phénomène «le prétorianisme », un néologisme construit à partir mot « prétoire » qui désignait le quartier général des légions romaines et plus tard la garde de l’empereur. Dès le premier coup d’État militaire en Afrique, au Togo, le 13 janvier 1963, plusieurs théories ont alimenté le débat sur le prétorianisme.

La principale théorie, dite développementaliste, privilégiait dans l’explication des coups d’État le contexte politique et économique qui avait permis l’intervention des militaires sur la scène politique, le développement économique et politique étant considéré comme une tâche qui demanderait une unité d’action et de la rigueur pour canaliser toutes les énergies. Face aux blocages dont souffraient les sociétés africaines au moment des indépendances et l’incapacité des régimes civils à y trouver des solutions adaptées, l’armée, et donc un régime militaire, apparaissait comme le seul recours, la seule alternative crédible. Cette approche d’inspiration développementaliste supposait qu’à terme le développement rendrait caduque et inutile l’intervention des militaires et ouvrirait la voie à des régimes représentatifs et solidement institués. Cette théorie a donné plus tard naissance à l’école du « soldat modernisateur ». Une approche liée à l’environnement social et économique qui postule que les coups d’État n’ont lieu que dans un environnement politique et économique favorable à l’intervention militaire. Dans le sillage de cette approche théorique, Samuel Huntington4 a élaboré l’hypothèse de l’institutionnalisation comme réponse aux interventions spasmodiques des militaires dans l’arène politique. Il voyait dans l’essor de la société civile la condition indispensable aux progrès de l’égalité, un système politique n’étant efficace et potentiellement protégé des coups d’État militaires que lorsqu’il est marqué par un fort degré d’institutionnalisation.

L’institutionnalisation a été et est encore utilisée aujourd’hui par les militaires soucieux de légitimer a posteriori leur pouvoir conquis. Dès le coup d’État réalisé, les militaires essayent le plus rapidement possible de troquer leur uniforme contre un costume civil, comme en Mauritanie en 2009. L’approche corporatiste, qui indirectement croit en la capacité modernisatrice des militaires, a été mise à mal dans les années 1970-1990 par les résultats négatifs enregistrés par les militaires au pouvoir qui ont montré qu’il leur était difficile, voire impossible de gérer la politique économique d’un pays dans un contexte de développement. L’effondrement du premier régime de Mathieu Kérékou au Bénin en 1991 en est la meilleure illustration.

D’autres théories, liées à l’institution militaire, ont été utilisées pour expliquer les coups d’État. Pour ces théories, appelées corporatistes, il faut chercher dans l’institution militaire elle-même, les causes de l’irruption des militaires sur la scène politique. Elles montrent que les premiers coups d’État militaires n’arrivent qu’à partir du milieu des années 1960 alors que les contextes, qui pouvaient les justifier, existaient dès le début des indépendances. Il y aurait eu un facteur déclencheur en dehors des instabilités socio-politiques. Cette théorie postule que c’est à l’intérieur du facteur militaire, donc de l’armée, qu’il faut chercher les causes de la militarisation dont le coup d’État n’est qu’un phénomène. L’hypothèse est que l’accession des militaires au pouvoir est un processus de défense d’intérêts corporatistes devant ce que les « corps habillés » ressentaient comme une dégradation de leur place dans la construction des nouveaux États et des nouvelles nations. Un sentiment de frustration, dû au fait que les conflits de haute intensité entre pays étaient improbables et que les forces armées étaient utilisées à des tâches de nature extramilitaire. De plus, les militaires n’acceptaient pas les mesures qui touchaient à leurs privilèges ou à leurs statuts. La question est alors de comprendre pourquoi le choix du coup d’État dans la construction des États alors que les armées africaines durant la colonisation avaient déjà l’expérience d’une tradition revendicative qui allait de la pétition à la mutinerie ? Devant cette objection à leur thèse, les « corporatistes » expliquent que les premiers coups d’État répondaient à une menace sur le statut même de l’organisation militaire, comme ce fut le cas au Ghana en 1965. Pourtant, beaucoup de coups d’État ne sont pas liés particulièrement au facteur militaire. Le coup d’État du 8 février 1974 en Haute Volta (le Burkina Faso depuis 1983), par exemple, a été inspiré par le mouvement syndical voltaïque qui a appelé ouvertement l’armée au chevet d’une société dans laquelle les institutions de l’État étaient contestées. Cette situation n’est pas sans analogie avec celle de novembre 2014.

Une autre théorie corporatiste tente de déceler l’attitude revendicative des militaires africains dans l’histoire coloniale. Des auteurs5 postulent que l’engouement des militaires africains francophones pour la politique remonte à l’armée coloniale française. Les futures armées nationales auraient hérité de cette conception globale dans laquelle l’armée jouait un rôle de maintien de l’ordre intérieur en l’absence de menaces extérieures potentielles. Cette approche se fonde sur un déterminisme historique pour expliquer les coups d’État. L’influence de l’histoire coloniale sur le comportement des armées africaines est incontestable. Par leur dispositif militaire qui se traduisait par la présence et l’installation de casernes au cœur des villes et à proximité des centres de décisions politiques, les troupes coloniales avaient essentiellement des missions de défense intérieure qui leur imposaient d’être prêtes à intervenir en cas de troubles politiques. Dans l’ensemble, ce dispositif et ce principe ont été hérités par les futures armées nationales après les indépendances. En France, de 1955 à 1962 à Fréjus, plusieurs centaines d’anciens soldats des troupes coloniales ont été formés comme officiers et sous-officiers. L’institution militaire française avait anticipé la décolonisation contrairement à la justice ou l’administration. De ces promotions sont sortis plusieurs chefs militaires, auteurs de coups d’État (Kountché au Niger, Eyadema au Togo, Traoré au Mali). Malgré la rigueur de la démonstration, le déterminisme historique ne suffit pas pour expliquer tous les coups d’État. S’il faut chercher les causes des coups d’État dans l’histoire coloniale française, comment expliquer que le phénomène ait largement dépassé les frontières de l’Afrique noire francophone pour se généraliser dans toute l’Afrique ? Est-ce un phénomène de contagion ? La thèse du déterminisme historique n’est pas apparue assez suffisante pour expliquer le phénomène, surtout lorsque les armées anglophones, lusophones et mêmes celles n’ayant pas connu d’influence coloniale (Liberia), se sont spécialisées en faiseurs de coups d’État.

Pour d’autres chercheurs, l’intervention de l’armée est liée à la nature de l’armée elle-même, notamment des ambitions politiques de son chef, et à la pression des autres groupes civils souhaitant le changement. L’armée étant un corps social comme tous les autres,elle est également sensible à tous les clivages et les fractures de la société. Dans ce sens, les demandes de la société dans son ensemble et celles de l’armée en tant que corps social se chevauchent, l’initiative d’intervention militaire incorpore nécessairement des frustrations et des demandes civiles. Les soldes non payées, les frustrations de sous officiers mal rémunérés ont alimenté récemment la chronique politique africaine dans les phases d’instabilité politique (Côte d’Ivoire, Guinée, Mali). Le prétexte de l’intervention militaire est souvent lié à des circonstances ponctuelles, voire accidentelles, dans un contexte trouble.

De nombreux essais à caractère plus politique que scientifique analysent un peu facilement le coup d’État comme une conspiration internationale. L’accession de l’armée au pouvoir serait le résultat de manœuvres étrangères destinées à se débarrasser d’un régime dont les comportements politiques et idéologiques menaceraient les intérêts de la puissance tutrice. Cette thèse a servi à expliquer la vague de coups d’État qui déferla sur l’Afrique au plus fort de la guerre froide, où chaque camp voulait s’assurer sur le continent des relais indispensables. Même si dans les faits, on ne peut pas contester la main de certaines puissances dans les coups d’État, particulièrement la France dans son pré-carré africain avec la fameuse Françafrique foccartienne que les présidents suivants ont également utilisée, il faut reconnaître que les ex-colonisateurs s’appuyaient d’abord sur des contextes nationaux spécifiques objectivement prêts à accepter l’intervention militaire. L’analyse montre qu’une fois le coup d’État effectué, la coopération militaire avec l’ex-colonisateur a toujours été un facteur de maintien en place du nouveau régime. Les analyses, qui décrivent a posteriori une chronique des réseaux d’amitiés et d’intérêts, responsables de l’engrenage d’évènements dramatiques, ne permettent pas une analyse factuelle des mécanismes sociétaux qui ont amené ces situations politiques d’intervention directe de l’institution militaire dans la gestion de l’État.

La donne contemporaine du militarisme en Afrique

La question essentielle est toujours de comprendre pourquoi les militaires interviennent. Ces théories éclairent les situations contemporaines mais elles se sont concentrées sur la construction historique du phénomène dans chaque État. En effet, la longévité et la capacité d’adaptation de ces régimes prétoriens africains, comme au Togo, nécessitent un approfondissement de la recherche à la lumière du nouveau contexte militaire lié au djihadisme et à l’exigence démocratique en Afrique.

L’économiste togolais Kako Nubukpo6 explique que dans le contexte plein d’incertitudes de l’extraversion des économies ouest-africaines et de leur insertion primaire dans la mondialisation, les dirigeants africains n’ont aujourd’hui d’autre choix rationnel que de ne rien faire et d’improviser en permanence leurs discours économiques et de politique générale. Vis-à-vis des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale), ce sont des élèves respectueux et appliqués, ânonnant le crédo libéral, même (et surtout) si les résultats sont mauvais, pendant que vis-à-vis de leurs opinions publiques, ils tiennent des discours populistes, ethnicistes ou xénophobes. Leurs sociétés civiles et leurs jeunesses, connectées entre elles et aux réseaux internationaux, sont de plus en plus demandeuses d’alternance. La CEDEAO et l’Union africaine, malgré leur inertie politique et leurs contradictions, deviennent plus exigeantes. Dans le dernier épisode burkinabé, le syndicat des chefs d’État s’est divisé. Curieusement, c’est le président sénégalais, MackySall, qui a semblé céder aux putschistes avant que les dirigeants nigérian, nigérien et ghanéen ne reprennent la main. Face à ces incertitudes économiques, sociales et politiques, les régimes estiment toujours, en dernière analyse, que leur maintien au pouvoir et leur gestion prébendière des biens publics et des richesses du pays passent par le renforcement des dispositifs militaires de sécurité intérieure.

Pourtant l’institution militaire classique n’est plus le meilleur garant de cette protection. Les cadres des forces armées de ces pays se sont pour la plupart embourgeoisés et tirent profit des marchés publics que leur place dans l’appareil militaire permet. En 2013, l’armée malienne était une des armées au monde qui comptait le plus fort taux d’encadrement par des officiers généraux. Les indécentes villas des généraux togolais poussent dans les nouveaux quartiers de Lomé développés sur des emprises cadastrales de l’État contestables. Le danger militaire djihadiste remet le renforcement des capacités militaires au centre du débat public. L’aventurisme politique d’un chef d’État ou d’un chef militaire est devenu pour ces militaires notabilisés à la fois un risque économique pour leurs affaires et un péril pour la stabilité du pays. Au Burkina Faso, l’armée en premier a préféré lâcher Blaise Compaoré pour protéger ses rentes. La garde présidentielle a immédiatement réagi en lâchant à son tour le Président et en mettant de côté le chef d’état major de l’armée, le général Traoré. L’armée s’est de nouveau dressée contre la dernière aventure avortée de la garde présidentielle qui risquait d’entraîner le pays vers le chaos.

Si la stratégie onusienne d’implication des forces armées africaines dans les opérations militaires au Mali ou en Centrafrique a démontré leur niveau de délabrement opérationnel (hormis le cas du Tchad déjà confronté à une menace extérieure) et leur absence d’éthique militaire (y compris le Tchad), la fraternité des armées entre les cadres africains et leurs homologues européens fait évoluer les idées. Les inculpations pour crime contre l’humanité devant la justice internationale font réfléchir. Ces facteurs expliquent que les chefs militaires y réfléchissent à deux fois pour suivre un dirigeant qui s’isole entouré d’une coterie étroite qui le coupe des réalités. Devant la menace militaire que constitue le djihadisme terroriste (AQMI, BokoHaram) l’institution militaire redevient légitime dans l’opinion publique à partir de son rôle fondamental de protection de l’État devant les menaces externes. Le mauvais bilan militaire de Jonathan Goodluck au Nigeria est l’un des facteurs de sa défaite. Les situations de tensions politiques permanentes que connaissent la plupart des régimes africains construits sur le déni d’alternance et les manipulations électorales amènent les militaires à être encore aujourd’hui un enjeu politique central pour les oppositions et les sociétés civiles. Si les mobilisations citoyennes arrivent à faire reculer les militaires, les partis politiques n’arrivent pas à consolider les acquis démocratiques face aux gardes prétoriennes et appellent alors l’armée pour arbitrer les crises, comme le montrent les récents évènements au Burkina.

Devant cette situation, les chefs d’État en délicatesse avec la démocratie développent des gardes présidentielles indépendantes de l’institution militaire qui, du fait des évolutions géostratégiques, revient sur ses missions fondamentales. Le prétorianisme mute en passant de l’institution militaire à des gardes présidentielles construites sur des critères de loyauté, ethniques le plus souvent, comme au Burkina Faso, au Togo ou au Cameroun. Elles sont suréquipées et coachées par des consultants étrangers, israéliens et français principalement, ex-militaires et spécialistes de la contre-insurrection, le fameux « savoir-faire français » selon le mot malheureux de la ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot Marie à l’Assemblée nationale au début de l’insurrection tunisienne fin 2011. En 2009, une ONG israélienne a mené une campagne pour dénoncer l’appui d’encadreurs militaires israéliens auprès des forces de sécurité habillées d’uniformes encore marqués « Tsahal » et qui ont tiré à Yaoundé et Douala en faisant plus de 40 victimes lors des émeutes de la faim en février 2008 au Cameroun. On assiste également à une africanisation de l’encadrement de ces gardes prétoriennes : des Angolais formaient la garde du président Gbagbo, des encadreurs libyens en Centrafrique et des Congolais au Gabon. Les chefs d’État veillent à ce que les régiments qui disposent du feu soient commandés par des proches, laissant à d’autres militaires moins sûrs les postes d’état major plus prestigieux mais moins sensibles d’un point de vue de la sécurité.

L’autoritarisme des régimes africains est aujourd’hui plus policé que celui des années 1960-1970, les costumes civils ont remplacé les uniformes et les treillis dans la propagande d’État. Ces dernières années, la chronique politique africaine est surtout celle de successions dynastiques réussies (Togo, Gabon, RDC), avortées (Sénégal) ou envisagées (Cameroun), de débats constitutionnels manipulés (Burundi, Rwanda, Togo, Burkina Faso, RDC, Congo) et d’élections contestées (tous les pays sont touchés). Ces évènements montrent en définitive un même phénomène : celui de systèmes prébendiers qui refusent de céder la place. En dernière instance, le meilleur outil pour rester au pouvoir est encore la force armée quand les autres instruments – propagande d’Etat, manipulations constitutionnelles, achat des consciences, démocratie formelle, chantage géostratégique à la communauté internationale, partage des prébendes étatiques, marchés publics et facilités foncières –, ne le garantissent plus. La défection inattendue de la garde présidentielle au Burkina en 2014 et sa tentative de reprendre le pouvoir onze mois plus tard, contrée par l’armée, doivent en ce moment faire réfléchir les chefs d’État africains qui refusent l’alternance.

1. Philippe Baumel, Rapport parlementaire sur la stabilité et le développement de l’Afrique francophone, mai 2015.
2. Lire le numéro 128 2012/4 de Politique Africaine consacrée aux « Corps Habillés ». 3. Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest
4. Samuel Huntington, PoliticalDevelopment and politicalDecay, World Politics, 1965.
5. Lire par exemple Ammi-Oz Moshe, Les interventions extramilitaires des forces armées dans les Etats d’Afrique Noire francophone, thèse de doctorat, Université de Paris (René Descartes), 1973.
6. Kako Nubukpo, L’improvisation économique en Afrique de l’Ouest : du coton au franc CFA, Paris, Karthala, 2011.

AVERTISSEMENT : La mission de la Fondation Jean-Jaurès est de faire vivre le débat public et de concourir ainsi à la rénovation de la pensée socialiste. Elle publie donc les analyses et les propositions dont l’intérêt du thème, l’originalité de la problématique ou la qualité de l’argumentation contribuent à atteindre cet objectif, sans pour autant nécessairement reprendre à son compte chacune d’entre elles.

NOTE n° 284 - Fondation Jean-Jaurès - 27 octobre 2015
Christophe Courtin*, François Boko**
*Consultant international **Avocat, consultant international et ancien ministre de l’Intérieur du Togo (2003-2005)

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