La semaine qui s’achève a été marquée par la rentrée solennelle de la Cour d’Appel du Togo avec des Officiers de police judiciaire (OPJ) aux côtés des magistrats censés dire le droit. Mais lorsqu’un commissaire chargé d’enquêter et de réprimer des malversations se retrouve au centre d’une affaire de vol de sucre, c’est tout l’appareil judiciaire qui se trouve grippé. A Tsévié, le commissaire Dotsé est au cœur d’un réseau qu’il urge que le Procureur de la ville et ses substituts démantèlent. Et il revient à la Direction générale de la police nationale et au ministre de tutelle de prendre leur responsabilité pour que des brebis de ce genre n’écument pas la corporation des OPJ déjà décriée au sein de la population.
L’affaire est encore très récente et la hiérarchie n’aurait pas encore réussi à faire dire le droit dans ce qu’il convient d’appeler un réseau mis en place pour arnaquer des citoyens qui auront été au préalable piégés.
Il y a quelque temps dans le village d’Agbélouvé, un jeune répondant au nom d’Akoto aurait été mis aux arrêts sur ordre du commissaire Dotsé de la ville de Tsévié. Soucieux d’en apprendre un peu plus, nous nous sommes rendus dans ladite ville. Au vu de ce que nous avons appris sur le mode opératoire des acteurs de ce réseau, nous n’avons pas jugé ce déplacement inutile. De quoi s’est-il agi ?
Selon les sources que nous avons interrogées, le nommé Akoto est un jeune mécanicien reconverti dans le commerce. « Il a été contacté par le jeune Adjaho, le petit frère de l’actuel consul du Pakistan au Togo, qui voulait lui vendre une cargaison de sucre dont il a pris soin de ne pas dire la provenance. Ayant flairé une bonne affaire, le sieur Akoto à qui une connaissance aurait confié une certaine somme, a retranché 6 millions de FCFA pour acquérir les 10 tonnes de sucre Crystal Sugar. La clique à Adjaho demande à l’acquéreur de vendre une partie à une dame qui vit dans la ville de Notsé afin que cette partie lui serve à établir au plus vite les papiers administratifs au port. Mais figurez-vous que juste après avoir pris congé d’Akoto, le jeune Adjaho a contacté le commissaire Dotsé par téléphone et, sans savoir au juste ce qu’il lui aurait dit, ce dernier a fait arrêter Akoto. Mais une autre personne pourra mieux vous conter la suite », nous relate notre source.
Quelques instants plus tard, un autre proche de la famille du prévenu nous confie : « Moi j’ai été surpris par tout ce qui se trame autour de notre frère. Parce que si Adjaho a pu contacter le commissaire par téléphone, c’est évidemment qu’ils se connaissaient bien avant. Maintenant, s’agissant de l’affaire elle-même, nous savons, pour avoir déjà assisté à la procédure, qu’avant de garder un citoyen en détention, il est demandé aux OPJ de le présenter au Procureur de la République en charge de ladite ville, mais le commissaire Dotsé s’est permis d’enfermer notre parent sans l’avis du Procureur, puisque c’est après notre visite à ce dernier qu’il a été informé de ce qui se passe dans la ville de son ressort. Et ce n’est pas fini. Notre frère s’est vu demander par ce commissaire la somme de 800.000 FCFA avant de le libérer. Je continue à me demander à quoi devrait servir cette somme et si c’est écrit quelque part dans les statuts de la police nationale. Mais tenez-vous bien, le reste de la marchandise a été emporté par le commissaire et selon ce que le Procureur nous a dit, c’est lui-même qui, pour mettre chacun devant ses responsabilités, a pris une commission rogatoire qu’il a remise au commissaire. Aux dernières nouvelles, le commissaire prétendrait avoir remis la marchandise au vrai propriétaire. Mais permettez que je dise qu’il ment comme il respire. Pourquoi, vous demandez-vous certainement. Eh bien, la part de la marchandise que notre frère a vendu à la dame de Notsé devrait lui revenir de droit, mais le même commissaire est parti retirer le montant auprès de la dame, soit 1.600.000 FCFA et personne ne sait ce qu’il en a fait. Certainement que si on fouille bien, on découvrira que cette somme ne figure dans aucun livre du commissariat ».
Lorsque nous avons approché un premier policier, on aurait dit qu’il avait croisé le diable en personne, tellement il était tétanisé et nous a quittés sans rien dire. Mais un autre qui a jugé l’attitude de son supérieur indigne de son rang, nous a parlé. « Je ne suis pas surpris pas les actes de notre supérieur, puisqu’il aurait fait la même chose du temps où il était au commissariat d’Agoè. Mais là, c’était une histoire de téléphone haut de gamme. Passons. Lorsque qu’un Procureur prend une commission rogatoire, cela signifie que celui qui la reçoit doit faire de vraies investigations pour trouver le vrai propriétaire de la marchandise en question, mais dans le cas dont il est question, notre commissaire avait d’abord parlé d’un Nigérien et lorsque le moment de vérifier est arrivé, on découvre que le « propriétaire » a changé de nationalité et est devenu Ivoirien par un tour de baguette magique. J’ai trouvé très curieux que notre commissaire n’ait trouvé rien à dire ou à faire à ceux qui ont volé les 10 tonnes de sucre et qui ont convaincu le mécanicien de les acquérir, je veux parler du jeune Adjaho. Cette manière de salir notre corporation me peine beaucoup, parce que nous ne sommes pas tous pareils, mais ce sont de pareilles attitudes qui jettent du discrédit sur notre corps », se désole le seul policier ayant accepté de parler de cette affaire qui est toujours sur le tapis. Des informations nous laissent penser que les supérieurs hiérarchiques directs que sont le Directeur général de la police et le ministre de la Sécurité et de la Protection civile seraient au courant, mais ne sauraient pas toujours quelle attitude adopter devant pareille gaffe d’un commissaire censé faire régner la loi.
Nous avons ensuite tenté de joindre le Procureur de la localité aux fins d’en savoir davantage. Mais celui-ci a déclaré qu’il ne souhaitait pas commenter cette affaire.
Des voleurs qui mettent la main sur une marchandise, vont la vendre à un individu puis prennent attache avec le commissaire de la ville qui part arrêter cet individu et lui réclame 800.000 FCFA en l’enfermant et sans rien dire aux voleurs, il n’y a qu’au Togo qu’un polar pareil puisse se produire. Aujourd’hui le nommé Akoto a fui son village Agbélouvé pour se réfugier dans la capitale suite aux menaces que des hommes de mains du commissaire proféreraient à son encontre. Et pendant ce temps, l’officier de police judiciaire est libre de ses mouvements. C’est à croire que de nos jours on n’intègre plus la police pour servir la nation, mais plutôt pour se servir.
Selon un magistrat, une commission rogatoire est une manière pour un Procureur de se décharger de toute responsabilité, surtout lorsqu’il sent une opacité dans une affaire, ce qui veut dire que lorsqu’il sera prouvé que le commissaire aura menti sur les vrais propriétaires du sucre, il sera seul devant la justice. On se demande alors comment le commissaire a pu déterminer que l’Ivoirien était le vrai propriétaire et qui sont les OPJ qui l’auraient aidé dans ses recherches. On devrait aussi retrouver une décharge contre le 1,6 million de FCFA s’il les a vraiment rétrocédés.
Que prévoient les textes de la République lorsqu’un OPJ se rend coupable d’une telle légèreté ? Ensuite, le commissaire Koudouovoh Têko et le ministre Yark Damehame prendront-ils des sanctions disciplinaires dissuasives ou feront-ils dos rond, le temps que la tempête se calme, surtout que l’OPJ n’est pas à son coup d’essai ?
Il serait temps que ce dossier connaisse l’enquête d’un magistrat indépendant qui détermine les vrais acteurs de ce réseau et que les dispositions qui s’imposent soient mises en branle. Il y va de la réputation de la justice togolaise dans son entièreté. Affaire à suivre.