Une sénégalaise de 25 ans nommée Pauline risque l’expulsion de la France, parce que l’administration remet en cause la sincérité de son mariage avec un français largement plus âgé (71 ans). En 2010 nous avions attiré l’attention du ministre français de l’immigration (M. Eric BESSON) sur les injustices que peut causer l’incrimination du défaut de vie commune affective pour les couples mixtes. Au-delà des amalgames et de l’émotion suscitée, cette affaire mérite une attention particulière car elle soulève de graves violations des droits fondamentaux et concerne beaucoup d’étrangers en France.
Les amalgames et l’émotion ne seront pas utiles
L’article L313-11 du code français des étrangers (CESEDA) prévoit à son alinéa 4 la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l’étranger marié à un ressortissant français, si les conditions suivantes sont remplies : absence de polygamie, conservation de la nationalité française du conjoint ; transcription du mariage à l’état civil français s’il est célébré à l’étranger ; existence d’une vraie communauté de vie entre les conjoints.
L’honnêteté oblige à reconnaitre que ce dispositif fait souvent l’objet de fraudes de la part d’étrangers en manque de papiers. Cette fraude peut consister en un mariage forcé, un mariage arrangé, un mariage blanc ou un mariage gris. Dans les deux premiers cas le mariage est consommé mais le consentement d’un des conjoints (souvent celui de la femme) a été négocié ou extorqué pour permettre à un proche d’avoir des papiers.
Dans le mariage blanc les deux époux se mettent d’accord pour conclure un mariage fallacieux juste pour que l’un des conjoints obtienne un titre de séjour. Cette pratique a souvent une contrepartie financière pouvant aller jusqu’à 10 000 euros. Des escrocs en ont fait un business en proposant à des français (se) de se marier commercialement avec des candidats à l’immigration, en touchant leur commission au passage. Pour lutter contre ces fraudes, le gouvernement français est allé très loin en réprimant l’escroquerie sentimentale à but migratoire, sous le vocable de « mariage gris » (confondu par une certaine presse au mariage blanc). C’est sur la base de ce « mariage gris » que le renouvellement du titre de séjour de la jeune sénégalaise a été refusé et qu’elle risque l’expulsion. Ce n’est pas la première fois que l’administration exige des couples mixtes une vie commune affective pour que le conjoint étranger puisse bénéficier d’un titre de séjour. Le « mariage gris » est fustigé en France depuis fin 2009 par l’ancien ministre de l’immigration, Eric BESSON, et continue de justifier des refus de titres de séjour à des conjoints de français. . Si l’avocate de la jeune fille évoque des raisons matérielles, comme le fait d’aider son époux et de lui éviter de vivre dans une maison de retraite, le tribunal risque de confirmer la décision du préfet. Cela suscite beaucoup d’émotion. Mais c’est avec des arguments juridiques et une volonté politique qu’un tél cas de figure, loin d’être isolé, pourra être résolu.
Arguments juridiques pour empêcher l’expulsion de la jeune sénégalaise
Le cas de cette sénégalaise n’est pas extraordinaire en France. Beaucoup d’autres sénégalais, ivoiriens, maliens, guinéens, congolais, camerounais, etc., ont vécu, vivent et vivront la même situation. Il faut donc s’armer d’arguments de droit pour défendre ses intérêts le cas échéant.
Pour parvenir à la conclusion que le mariage de l’étranger est dépourvue de valeur affective, l’administration est obligée de passer par une présomption de mauvaise foi des époux. Or, en droit français, la mauvaise foi ne se présume pas. Elle doit être prouvée. Il est constant qu’en la matière le « consilium fraudis » doit être prouvé par celui invoque l’existence d’une intention frauduleuse, conformément à l’esprit des articles 427 du code de procédure pénale, et 9 du code de procédure civile français. L’administration française n’a pas d’ « amouromètre » pour jauger le quantum et la nature des sentiments amoureux des étrangers en France. En s’aventurant dans cette démarche elle dérive dans l’arbitraire et l’excès de pouvoir. L’objectif du contrôle des flux migratoires n’est pas de d’annihiler le droit fondamental à une vie privée et familiale normale.
La reconnaissance de ce droit est un principe de dignité humaine consacré par le préambule de la constitution française de 1946 et par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). En refusant de délivrer un titre de séjour «vie privée et familiale » à la sénégalaise, le préfet viole les dispositions de l’article 8 de la CEDH. Il viole aussi des principes jurisprudentiels dégagés par le Conseil d’Etat en 1996 et confirmé par le Conseil constitutionnel en 2006, qui consacrent sans équivoque le droit au respect de la vie matrimoniale. L’accord de gestion des flux migratoires signé entre la France et le Sénégal le 23 septembre 2006 prévoit qu’un ressortissant sénégalais en situation irrégulière en France peut bénéficier, en application de la législation française, d’une admission exceptionnelle au séjour se traduisant par la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale”, s’il justifie de motifs humanitaires ou exceptionnels. Ainsi, au pire des cas, la jeune sénégalaise peut se prévaloir des dispositions du code des étrangers prévoyant une admission exceptionnelle au séjour pour motif humanitaire ou à raison de l’intensité et de la stabilité des liens personnels et familiaux qu’elle a en France, et de son intégration socioprofessionnelle.
Arguments politiques pour empêcher l’expulsion de la jeune sénégalaise
Aucune disposition légale, constitutionnelle ou de droit international n’interdit à un étranger de se marier avec un français ayant un écart d’âge considérable. Comme dit l’adage, le cœur à ses raisons, que la raison juridique ne peut pas appréhender. Le mariage est un droit fondamental dont la portée dépasse le pouvoir discrétionnaire du préfet. Dans un arrêt de principe le Conseil d’Etat français a considéré depuis 1995 que le respect de la dignité humaine est une composante de l’ordre public. Or le droit au mariage est un principe de dignité humaine. Le Conseil constitutionnel français a consacré dans deux décisions de principe (en 1993 et en 2003) le principe fondamental de la liberté du mariage qui ne souffre d’aucune discrimination en fonction de l’origine ou de la nationalité, et qui est une composante de la liberté individuelle garantie par les articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Alors, en expulsant la sénégalaise, l’administration française violerait elle-même l’ordre public qu’elle est censée sauvegarder.
Expulser la sénégalaise serait ainsi un affront diplomatique dans la mesure où l’Etat français remettrait en cause l’authenticité et le bien fondé des actes d’état civil délivrés par un gouvernement souverain. Ce qui, au surplus, serait même une violation du droit français : l’article 47 du code civil français accorde une force probante aux actes d’état civil étrangers, et les consulats français vérifient scrupuleusement si un acte de mariage étranger n’est pas apocryphe ou complaisant, avant de procéder à sa transcription dans l’état civil français.
Il s’en suit que la négation de la valeur du mariage de la sénégalaise est une atteinte à la souveraineté de l’Etat sénégalais. En réaction à ce mépris diplomatique, le Sénégal pourrait nier toute valeur aux mariages des français (e) avec des sénégalais (e). Il pourrait même créer une loi pour incriminer les vieux et vielles françaises qui s’unissent frivolement avec de belles tigresses ou de bels étalons noirs pour se rajeunir sexuellement dans des stations touristiques comme Mbour, Saly, Cap Skiring ou Saint-Louis. Cela pourrait se traduire par la création d’un délit de « mariage rose » pour contrer celui de « mariage gris » appliqué de fait aux étrangers par la France. Dans les relations internationales, il faut parfois savoir répondre au coup de l’âne par un autre coup d’âne. En termes plus diplomatiques, les ressortissants d’un Etat ne seront jamais respectés à l’étranger si leur gouvernement ne sait pas user de la réciprocité pour rééquilibrer le commerce juridique international. L’Etat sénégalais (la présidence, le ministre des affaires étrangères et des sénégalais de l’extérieur, les consulats du Sénégal en France) ont le devoir de prendre en main le cas de cette jeune fille. D’autant plus que chaque sénégalais ou africain en France peut brandir sa pancarte avec la mention « JE SUIS PAULINE ».