La Banque Africaine pour le Développement (BAD) accompagne le Togo depuis 1972. La BAD a officiellement ouvert un bureau au Togo en janvier 2012, bureau dirigé par Serge N’Guessan. A l’ouverture de cette représentation, le montant global des investissements de cette banque panafricaine au Togo s’élevait à 328 millions d’UC (environ 243 milliards de FCFA).
Mais la banque continue de soutenir les efforts de développement de l’économie du Togo en intervenant sur deux piliers qui sont : Le développement des infrastructures économiques et la promotion de la bonne gouvernance.
Ces informations sont rapportées à l’Agence Afreepress par Serge N’Guessan, le Représentant résident de la BAD au Togo qui ne cache pas sa satisfaction devant les efforts accomplis par le pays tout en conviant le gouvernement à encore plus d’effort. Lire l’intégralité de l’interview.
Afreepress : Bonjour M. Serge N’Guessan, vous êtes le Représentant résident de la Banque Africaine pour le Développement (BAD) au Togo depuis plus de deux ans déjà. Dites-nous quel bilan pouvez-vous faire de la présence de la BAD dans notre pays depuis votre arrivée à Lomé.
Serge N’Guessan : Comme vous le savez, la Banque africaine de développement (BAD) accompagne le Togo dans son processus de développement depuis 1972. Le montant global des investissements de la BAD au Togo de 1972 à l’ouverture de son Bureau national à Lomé en janvier 2012, s’élevait à 328 millions d’UC (environ 243 milliards de FCFA).
Nos opérations dans le pays ont pris de l’ampleur de 2009 à 2011 avec un investissement moyen annuel de 38 millions d’UC contre 4 millions d’UC au cours des 36 premières années de la coopération de la BAD avec le Togo. Cet engagement ferme de la BAD au côté du Togo pour relancer son économie après la quinzaine d’année de crise socio-politique qu’a connu le pays, a été réaffirmée par l’institution à travers l’ouverture du Bureau national de la BAD au Togo dans le cadre de sa politique de décentralisation.
Le Bureau devrait donc permettre à la BAD de soutenir plus efficacement les efforts de développement du gouvernement et du peuple togolais et de s’assurer que l’impact de son assistance au Togo, que la Banque considère encore comme un Etat fragile, soit optimal grâce à une collaboration de proximité avec ses autorités et une meilleure connaissance des réalités que vivent ses populations.
Pour ce faire, dès son ouverture, le Bureau s’est engagé à faire en sorte que les opérations en cours d’exécution financées par la BAD au Togo aient leur performance très rapidement améliorée pour atteindre dans les délais prescrits des résultats palpables pour le bénéfice des populations. D’un taux de décaissement du portefeuille de la BAD de l’ordre de 20% en janvier 2012, nous sommes passés à environ 56% en décembre 2012. En notre présence, les investissements opérationnels de la BAD ont atteint 76 millions d’UC (56 milliards de FCFA) en deux années, avec un pic de 71 million d’UC (53 milliards de FCFA) en 2012, une première dans l’histoire de la Banque au Togo.
Notre présence au Togo a également permis à la Banque de mener un dialogue soutenu avec les autorités du pays sur des questions importantes de la stratégie de développement du Togo. Le Bureau a su assurer aux autorités togolaises l’appui conseil nécessaire pour la réussite de réformes économiques et sociales prometteuses et des initiatives novatrices à caractères stratégiques. Par ailleurs, l’ouverture du Bureau a donné à la Banque une réelle opportunité de participer au renforcement de la coordination de l’aide afin de rendre l’efficacité de l’aide une réalité au Togo, un chantier important pour le pays.
Les accomplissements du Bureau en 2 ans sont donc tels que nous pouvons en être satisfaits. Toutefois, il nous faudra maintenir cette cadence et essayer de faire encore mieux pour les années à venir afin que les bons résultats que le Bureau a pu engranger ces 2 années, et qui sont unanimement salués par tous, soient la base d’une coopération de plus en plus fructueuse et enrichissante entre la BAD et le Togo.
Afreepress : Quels sont les secteurs ou domaines où votre institution intervient le plus au Togo ?
Serge N’GUESSAN : La Banque a choisi deux piliers stratégiques pour orienter son intervention au Togo de 2011 à 2015 avec pour objectif de contribuer à stimuler une croissance économique forte et créatrice d’emplois pendant cette période. Ces deux piliers sont:
(i) le développement des infrastructures économiques ; et
(ii) la promotion de la bonne gouvernance.
Dans le cadre du pilier (i), la Banque a financé la réhabilitation des routes Rond du Port de Lomé – Avépozo (corridors Lomé-Cotonou) et Atakpamé-Blitta (corridor Lomé-Ouagadougou), ainsi que l’extension du Port de Lomé en vue d’accueillir de gros navires et servir de port transbordement.
En ce qui concerne le pilier (ii), la Banque appuie le gouvernement dans la mise en œuvre de ses réformes visant l’amélioration du climat des affaires, le renforcement du système de gestion des finances publiques, l’amélioration de la gouvernance dans les secteurs porteurs de croissance, et la mobilisation des ressources internes. A cet effet, la Banque accompagne le Togo dans la mise en place de l’Office togolais des recettes. Les problématiques transversales que sont la promotion de l’emploi (et plus particulièrement des jeunes), le changement climatique, et le renforcement des capacités institutionnelles et humaines, sont également au cœur de l’action de la BAD au Togo et sont financés à travers des initiatives et fonds spéciaux tels que la Facilité en faveur des Etats Fragiles (FEF).
La pertinence des deux piliers de la stratégie-pays 2011-2015 de la BAD pour le Togo et leur alignement avec les axes prioritaires de la Stratégie pour la croissance accélérée et la promotion de l’emploi (SCAPE) - 2013-2017 du Togo ont été confirmés par les autorités togolaises lors de l’exercice de la revue à mi-parcours de cette stratégie-pays de la BAD au Togo qui a lieu en octobre 2013. Toutefois, pour la période restante couverte par la stratégie (2014-2015) davantage d’attention sera accordée par la BAD aux questions de l’inclusion et de l’emploi des jeunes ; de l’augmentation de l’offre énergétique et son accessibilité par toutes les couches sociales togolaises ; et de la promotion de la croissance verte.
Afreepress : Pourquoi un tel choix ?
Serge N’GUESSAN : En intervenant dans le domaine des infrastructures, l’objectif de la Banque était double : (i) créer des emplois, notamment pendant la phase de réalisation des travaux et (ii) stimuler la croissance économique, notamment :
a) dans le secteur agricole, en connectant les zones à fort potentiel de production aux marchés
de l’intérieur du Togo et en Afrique de l’Ouest ;
b) dans le secteur des services de transport, en contribuant au développement de l’offre togolaise de transport et de transit dans l’espace économique ouest-africain ; et
c) en élevant le niveau de service des infrastructures critiques pour la croissance.
L’objectif visé dans la stratégie 2011-2015 de la Banque au Togo en matière de gouvernance était de stimuler la croissance et la création d’emplois par le soutien aux réformes économiques du gouvernement, avec un accent particulier sur les réformes qui visent la facilitation des échanges, orientées vers les secteurs à fort potentiel de croissance et de création d’emplois.
L’action de la Banque dans le domaine de la gouvernance visait aussi à appuyer les réformes dans la gestion des finances publiques et le développement des compétences nationales en matière de création d’entreprises.
Afreepress : De façon générale, quelle est la politique économique de la BAD pour les États africains ?
Serge N’Guessan : La Stratégie de la Banque africaine de développement pour la période 2013
à 2022 traduit les aspirations de l’ensemble du continent africain. Elle est fermement ancrée dans une connaissance et une expérience approfondie du chemin parcouru par l’Afrique au cours de la dernière décennie et de la destination à laquelle elle souhaite parvenir au cours de la prochaine. L’Afrique s’est engagée dans un processus de transformation économique.
Ce processus a enregistré une croissance robuste et soutenue pendant plus d’une décennie, mais elle a été inégale et sans base solide, et elle n’est, à aucun point de vue, terminée. La stratégie de la BAD est conçue pour placer cette institution africaine au centre de la transformation de l’Afrique. Elle vise à élargir et approfondir ce processus de transformation, essentiellement en faisant en sorte que la croissance soit partagée et non isolée, pour tous les citoyens. Elle vise aussi à favoriser une croissance durable aussi bien économique qu’écologique. Lorsque la croissance est aussi bien inclusive que « verte », elle crée les emplois dont le continent a besoin maintenant et dont il aura besoin en nombre encore plus accru à mesure que des millions d’autres jeunes entrent sur le marché du travail, avec des énergies et des aspirations auxquelles il faut répondre.
Afreepress : L’apport de l’Afrique dans le commerce mondial est très dérisoire. Comment expliquez-vous cela et que préconise la BAD afin d’améliorer la situation ?
Serge N’Guessan : La performance commerciale de l’Afrique est en effet encore très faible. Toutefois elle s’est améliorée ces 10 dernières années, et représente depuis 2010 environ 3,2% des échanges mondiaux. Cette performance reste néanmoins inférieure au 5% que représentait la part de l’Afrique dans le commerce international en 1960, année d’indépendance d’un grand nombre de pays africains.
Les raisons de la faible performance commerciale de l’Afrique au niveau mondiale sont bien connues et assez documentées. La principale raison est que les structures de production et d’exportation de la plupart des économies africaines n’ont pas variées depuis les indépendances de ces pays africains (pour certains depuis la période coloniale) et demeurent axées sur les matières premières dont la demande est orientée vers l’extérieur de l’Afrique (principalement vers l’Europe). La quasi-absence de valeur ajoutée dans les exportations africaines du fait de leur concentration sur les matières premières, rend tributaire de la fluctuation de leur prix l’évolution des exportations africaines.
Par ailleurs, l’Afrique importe la plupart de ses produits manufacturés. Or, comme le prix des matières premières est généralement plus faible que celui des produits manufacturés, nos pays africains exportateurs de matières premières bénéficient du coup beaucoup moins du commerce international.
A ce faible apport de l’Afrique dans le commerce mondial, s’ajoute également le niveau de performance relativement bas du commerce intra-africain. Le niveau moyen des échanges intra-africains est demeuré inférieur à 15% au cours des 10 dernières années, contre 72% pour le commerce intra-européen, 52% pour le commerce intra-asiatique et 26% pour le commerce entre pays d’Amérique du Sud et centrale (OMC, 2010). Les pays africains ont encore du mal à satisfaire leurs besoins d’importation mutuels en raison de la similitude entre leurs structures de production. L’insuffisance des infrastructures reste l’un des principaux obstacles au commerce intra-africain, à l’investissement et au développement du secteur privée.
Devant ce constat, il est important pour nos Etats africains de renforcer la diversification de leurs économies et de s’engager résolument vers l’industrialisation efficiente du continent. Il est indispensable de renforcer les capacités productives pour la transformation structurelle de nos pays africains. Un pays ne peut pas commercer efficacement sans produire, ajouter une plus-value à ses matières premières et progresser dans les chaînes de valeur. Par ailleurs, la réussite de l’intégration régionale est cruciale pour l’Afrique si elle veut réaliser pleinement son potentiel de croissance, participer à l’économie mondiale et profiter des avantages d’un marché mondial de plus en plus interconnecté. Des infrastructures solides, une régulation efficace, des institutions opérantes, la suppression des barrières non tarifaires, une gestion irréprochable des transports et des couloirs de transit sont quelques facteurs qui contribueront à la meilleure intégration commerciale des différentes sous-régions africaines.
La Banque l’a bien compris, et c’est pourquoi dans sa volonté d’être au cœur de la transformation structurelle de l’Afrique, la Banque se concentre davantage depuis ces dernières années sur le développement des infrastructures économiques (transport, énergie, NTIC, etc.), du secteur privé et la promotion de l’intégration régionale.
De par sa nature, la BAD est effectivement bien placée pour jouer ce rôle de chef de file dans la promotion de l’intégration économique de l’Afrique, en vue de créer des marchés plus vastes et plus attrayants, de relier les pays enclavés, notamment les États fragiles, aux marchés internationaux et d’appuyer le commerce intra-africain. La facilitation du commerce, l’amélioration du climat des affaires, le renforcement du partenariat public-privé sont d’autres domaines d’intervention de la BAD pour améliorer significativement la part du commerce africain dans l’économie mondiale.
Afreepress : Comment appréciez-vous l’économie togolaise ? Est-ce une économie déjà dynamique ou qui est à redynamiser et que faire dans ce cas ?
Le Togo fait partie des Etats fragiles, mais depuis 2008, la croissance économique du Togo s’améliore constamment. Le taux de croissance est estimé à 5,9% en 2012 contre 2,4% en 2008. Cette croissance est imputable au dynamisme des activités des secteurs primaire et secondaire. L’analyse des parts relatives des secteurs porteurs de cette croissance révèle qu’elle est essentiellement tirée par le secteur primaire (38,8%) avec une prédominance de l’agriculture dont la part dans le PIB réel est estimée à 28%. Cet élan doit être maintenu pour espérer atteindre les 7% projeté par le Gouvernement dans le Plan d’actions prioritaires de la SCAPE pour pouvoir réduire de manière assez importante la pauvreté au Togo. C’est justement dans ce sens que la BAD accompagne le Togo.
Est-ce une économie déjà dynamique ou qui est à redynamiser et que faire dans ce cas ? L’Economie togolaise est en croissance mais pas relativement dynamique compte tenu de la faible productivité des facteurs. Pour plus de dynamisme, l’Etat devrait accélérer les réformes d’une part dans la mise en place d’un environnement favorable au développement du secteur privé et d’autre part assurer l’adéquation formation-emploi. En ce qui concerne l’environnement des affaires, un bon cadre juridique pour le respect des droits de propriété et des contrats est crucial pour inciter les individus à investir et à participer à la vie économique.
Afreepress : Malgré les chiffres positifs de la croissance économique du Togo, les populations peinent à ressentir cette bonne santé économique dans leur panier. Comment la BAD peut-elle aider le Togo à faire en sorte que la croissance de l’économie profite à tous ?
Serge N’Guessan : Le Togo est effectivement dans une bonne dynamique de développement économique avec un taux de croissance de l’ordre de 5% en moyenne ces trois dernières années. Toutefois, avec la démographie galopante que connait le Togo (environ 3%), le taux de croissance du PIB réel par habitant est d’environ 2% par an sur la même période. Comme le prévoit la SCAPE, un taux de croissance réel annuel moyen d’au moins 7% sur les cinq prochaines années sera nécessaire pour réduire raisonnablement le niveau de pauvreté au Togo.
Les efforts déjà consentis par le Togo pour avoir ce rythme de croissance élevé doivent être maintenus, mais en veillant à améliorer la nature de cette croissance afin d’en faire bénéficier toutes les populations togolaises.
La croissance économique que nous observons au Togo ces trois dernières années provient principalement des investissements publics avec la réhabilitation des routes, de la production agricole (notamment cotonnière et vivrière) et des activités minières et de transport. Malheureusement sur cette période, ces secteurs sont demeurés peu pourvoyeurs d’emplois et générateurs de revenus notables pour les populations, plus particulièrement pour celles vivant dans les zones urbaines togolaises. Le Gouvernement est bien conscient de ce fait, et la BAD partage sa ferme volonté de rendre plus inclusive et durable la croissance économique enregistrée par le pays ces dernières années.
Pour que la croissance économique profite à tous, l’appui que la BAD apporte au Togo, est multiforme. Cet appui porte entre autre sur :
i) la consolidation des finances publiques à travers une meilleure mobilisation des ressources internes et une gestion adéquate des deniers publics ;
ii) l’amélioration de la qualité de la dépense et du taux d’exécution du budget d’investissements surtout dans les secteurs sociaux ; et
iii) la promotion de l’emploi des jeunes et du développement à la base. Une bonne gouvernance économique et financière et que nous souhaitons irréprochable est en effet indispensable pour consolider les performances économiques du Togo depuis 2010, et rendre le pays plus prospère, plus riche et plus juste en termes de répartition des fruits de la croissance économique.
Afreepress : Quels sont les projets de la BAD pour notre pays dans les années à venir ?
Serge N’Guessan : Dans le cadre 13ème cycle de reconstitution du Fonds africain de développement (FAD XIII) et de sa programmation triennale la Banque envisage de poursuivre son soutien aux secteurs des transports (projet de corridor Abidjan Lagos,) de l’énergie (projet d’aménagement hydro-électrique d’Adjarala,) et de la gouvernance, dont un programme d’appui aux réformes économiques et un appui institutionnel pour soutenir le gouvernement en matière de gestion des finances publiques.
La Banque poursuivra également son appui en renforcement des capacités institutionnelles des structures de l’Etat, à travers la Facilité pour les Etats Fragiles. On notera que les opérations envisagées reflètent bien les orientations de la Stratégie-Pays 2011-2015 qui a retenu les infrastructures et la gouvernance comme principaux piliers d’intervention. Il faut aussi souligner qu’au-delà de ces projets, la BAD compte mettre un accent particulier sur le genre, l’emploi des jeunes et la croissance verte et inclusive.