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Pascal Bodjona et la curieuse fascination médiatique
Publié le samedi 20 fevrier 2016  |  Focus Infos


© aLome.com par Parfait et Edem Gadegbeku
Premier bain de foule de Pascal Bodjona, quelques heures après sa remise en liberté
Lomé, le 06 février 2016. Agoè-Cacaveli. Domicile de l`ex Directeur de cabinet de Faure Gnassingbé et ancien ministre de l`Administration territoriale, Pascal Akoussoulèlou Bodjona. Ce dernier a tenu à remercier tous ceux qui ont travaillé pour sa remise en liberté.


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La libération d’office de Pascal BODJONA le 06 février dernier a donné lieu à un emballement médiatique qui ne s’est pas démenti jusqu’à ce jour. Des grands médias internationaux en passant par les locaux, tous ont investi le domicile de l’ancien ministre dès les premières heures de la décision de main levée du mandat de dépôt ; aucun ne voulant se faire conter l’évènement. Décryptage du phénomène médiatique autour d’un dossier qui reste malgré tout, et quoiqu’il en est soutenu, une affaire judiciaire.

Famille, amis, badauds, courtisans, « militants », c’est toute une meute qui a accompagné Pascal BODJONA depuis la prison de Tsévié où il était incarcéré depuis près de dix-huit mois, poursuivi dans une sordide affaire d’escroquerie internationale, jusqu’à sa résidence située dans la banlieue nord de Lomé en cette matinée du 06 février 2016. Après 525 jours d’incarcération, l’ancien ministre de l’Administration Territoriale a été libéré d’office et a regagné son domicile, accompagné d’une foule, de fanfares et de groupes musicaux. Sur un air du déjà entendu, d’un autre temps et d’autres mœurs : « mi mou lédji amé dé kpé kpo, BODJONA yé mi lé dji…. »: « On ne veut personne d’autre que BODJONA » Ce retour dit « triomphal » avec une mobilisation qui était tout sauf spontanée, se voulait l’illustration d’une popularité dont se prévaut l’ex-détenu et qui selon ses proches, serait à l’origine de ses déboires judiciaires.

Cette « démonstration de force et d’audience dans l’opinion » serait passée inaperçue et n’en aurait d’ailleurs pas été une, sans l’allié de toujours et de poids: la presse. En effet, même s’il a repoussé l’offre d’interview de RFI après en avoir accordé à Jeune Afrique, s’est vu opposer une fin de non recevoir et polie auprès d’Africa 24, le natif de Kouméa a pu compter sur les médias nationaux pour « vendre » l’image de la « victime » qu’il affectionne et la théorie d’une «conspiration politique » qu’il développe.


Réseaux sociaux relayant presqu’en temps réel chaque minute de la libération, émissions ad hoc, programmes bouleversés, interviews exclusives, parutions spéciales dans les jours qui suivent, ce fut un véritable branle-bas médiatique, même pas troublé par une once de voix dissonante. Les médias, presqu’à l’unisson, applaudissaient ce come-back, certains chantant l’oraison funèbre du dossier judiciaire, d’autres célébrant avec un plaisir volontairement non dissimulé, le retour prochain de l’ »animal politique » dans l’arène.

Il faut dire qu’avec la presse locale, l’idylle de Pascal BODJONA est presque séculaire. Elle date de l’époque où il fut Directeur de Cabinet du Président de la République. Il y avait entre autres pour mission « officieuse », d’être le lien entre le pouvoir de Faure GNASSINGBE et les professionnels des médias, avec les moyens financiers et les pouvoirs y afférents ; « l’officier traitant des journalistes pour utiliser un terme du domaine des renseignements», confie un homme du sérail. Le moins qu’on puisse dire est que son efficacité a été telle qu’il n’existe aujourd’hui, toutes lignes éditoriales confondues, quasiment pas de patrons de presse ou de journalistes de rang avec lequel, il ne soit à tu et à toi. « Efficacité oui ; mais il ne l’a pas construite pour le collectif mais à son seul profit » objecte un de ses anciens collègues.



Cette relation particulière née en 2005, va être entretenue et développée durant les années passées plus tard au portefeuille de l’Administration Territoriale dont on disait qu’il constituait le ministère le plus fréquenté par les journalistes. La salle de réunion s’avérait systématiquement trop exigüe pour contenir la foule de professionnels de médias qui s’y précipitait à chacune de ses conférences de presse. Il n’est pas rare non plus d’en croiser parmi les visiteurs du soir du ministre dans sa cossue villa dans la banlieue de Lomé ; sa «générosité légendaire» n’y étant probablement pour rien.

Conséquence : monsieur BODJONA a toujours eu bonne presse. Et depuis le début de sa tourmente judiciaire, elle lui est favorable dans son écrasante majorité. A preuve, aux cabinets du juge d’instruction et au prétoire, se substituent souvent les colonnes de journaux ou les studios de radios. Et aux auxiliaires de justice, les journalistes.


Pour ces derniers, la cause est entendue bien avant toute discussion au fond et la clôture de l’instruction: NON COUPABLE. Toute l’affaire n’est qu’un tissu de mensonges, cousus de fils blancs, destinés à entraver l’irrésistible ascension d’une personnalité , à l’avenir politique et aux chances électorales certains. De fait, l’ancien ambassadeur aux Etats-Unis est le grand vainqueur de la bataille de l’opinion, face aux juges et aux politiques, ayant réussi grâce à son habileté ainsi qu’à son allié, la presse, à faire accréditer la thèse d’un dossier politique ; presque personne ne s’intéressant aujourd’hui au fond de l’affaire d’escroquerie, qui existe bien pourtant.



AFFAIRE JUDICIAIRE :

La remise en liberté de monsieur BODJONA n’induit pas son innocence ni ne met fin aux poursuites. C’est une liberté d’office soutenue par l’article 113 du Code de Procédure pénale togolais qui dispose qu’en « matière correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieure à deux ans d’emprisonnement, l’inculpé domicilié au Togo ne peut être détenu plus de dix jours après sa première comparution devant le juge d’instruction s’il n’a pas déjà été condamné soit pour un crime, soit à un emprisonnement de plus de trois mois sans sursis pour délit de droit commun.

La mise en liberté est également de droit lorsque la durée de la détention préventive atteint la moitié du maximum de la peine encourue et que l’inculpé est délinquant primaire. »

L’ancien ministre qui risque une peine maximale de 36 mois de prison ayant effectué plus de 18, a donc bénéficié des dispositions de l’article précité. Il reste cependant inculpé des faits de complicité d’escroquerie. Il appartiendra au juge, à l’issue de l’instruction, d’établir s’il y a suffisamment de charges pour renvoyer monsieur BODJONA devant un tribunal correctionnel ou au contraire, prononcer un non-lieu qui éteindrait l’action publique. Pour l’heure, c’est une bataille procédurale que mènent les avocats de l’inculpé de Lomé à Abuja ; aucune discussion sur le fond n’ayant encore été tenue. Ils relèvent à juste titre certains vices ayant entaché la procédure, en tirent la conclusion d’un harcèlement judiciaire et exigent purement et simplement un non-lieu pour leur client.

Si le procès fait à la justice dans ce dossier relativement aux vices relevés peut être par moments justifié, il occulte volontairement et complètement certaines décisions de cette même justice favorables à l’ancien ministre. Comme cet arrêt peu commenté de la Cour Suprême du 20 juin 2012, cassant la décision de la Chambre d’accusation déclarant son président compétent pour auditionner monsieur BODJONA, au motif que cette juridiction a violé l’article 422 alinéa 3 du Code de procédure pénale qui dispose que seul le président de la Cour d’Appel est compétent pour entendre un ministre en fonction.

Certes, comme l’a rappelé pertinemment le président de la Cour Suprême, Akakpovi GAMATHO en janvier dernier, des erreurs de procédure peuvent être commises malgré la bonne volonté d’un juge. Mais pour des raisons inavouées, certains justiciables peuvent choisir un système de défense qui les conduirait à multiplier les procédures pour retarder le règlement d’une affaire contre la volonté du juge. Indiquant que « s’il est permis à tout justiciable de soulever, dans des conditions légales, une ou des exceptions de procédure ou des irrégularités, il n’en demeure pas moins vrai que la loi lui permet tout de même de fermer les yeux sur des irrégularités de peu d’importance et permettre ainsi de faire avancer la procédure pour aller se défendre au fond par rapport aux charges retenues contre lui.


Bien sûr, c’est une question de choix relevant de l’appréciation de chaque justiciable ». Ajoutant : «personnellement, pour une question inhérente au délai de convocation pour comparaître devant un juge, si je ne me reproche rien, je n’en ferais pas une histoire pour aller jusqu’à la Cour suprême retardant ainsi le règlement de l’affaire au fond».

Avant de rappeler l’article 143 ancien alinéa 3 du code pénal qui prescrit que « la partie envers laquelle les dispositions de ces articles ont été méconnues peut renoncer à s’en prévaloir et régulariser ainsi la procédure. Cette renonciation doit être expresse». Cette disposition reprise par le nouveau code pénal induit que c’est une faculté qui est reconnue par la loi à toute partie au procès pénal.

Et le haut magistrat de conclure : «si on choisit librement de multiplier les procédures retardant ainsi l’examen de l’affaire au fond, seule occasion de savoir si les faits incriminés sont avérés ou non, l’honnêteté intellectuelle nous impose de reconnaître que ce n’est pas la justice qui manque, dans cette hypothèse, de célérité dans le règlement de l’affaire. Aucune œuvre humaine n’est parfaite. C’est justement la raison pour laquelle la loi accorde à la partie au procès dont le droit est lésé par une irrégularité, la faculté d’y renoncer le cas échéant pour aller à l’essentiel. Sur dix (10) dossiers par exemple, on pourrait trouver, à peine, deux (02) comportant des irrégularités de procédure ».


Les faits

Pour rappel, c’est un homme d’affaires originaire des Emirats Arabes Unis dénommé Abass Al-YOUSSEF qui a porté plainte contre l’ancien ministre. Il lui reproche d’avoir utilisé sa position de l’époque, pour rendre crédibles les manœuvres destinées à l’escroquer, se rendant ainsi complice de ces faits.

En effet, tout commence en mars 2008, lorsque Monsieur Abbas AL-YOUSSEF est abordé dans un hôtel à Dubaï par un Nigérian. Ce dernier présente à l’Emirati une dame, Mounira AWA comme veuve de l’ancien président ivoirien Robert GUEÏ. Le plan conçu par les comparses est de faire croire à l’homme d’affaires, l’existence d’une somme de 275 millions de dollars appartenant à feu le Général Robert Guéï, dans un coffre d’un prétendu établissement bancaire dénommé « Banque Centrale du Togo».

Pour faciliter le déblocage de ces fonds et en contrepartie d’une forte commission doublée de la possibilité d’en devenir le gestionnaire, il est sollicité de l’Emirati une certaine somme. Celui-ci se verra confirmer le sérieux de l’opération par son ami, l’ancien patron du groupe Elf, Loïk Le FLOCH-PRIGENT. Ce dernier, également inculpé par la justice togolaise, a toujours contesté cette version.

En juillet de la même année, tous deux débarquent à Lomé. A leur arrivée, ils rencontrent selon le plaignant, plusieurs personnalités, grâce à un homme d’affaires togolais, Bertin Sow AGBA, présenté comme ministre de la Défense. Dont Pascal BODJONA, à l’époque Directeur de Cabinet du Président de la République mais présenté comme Ministre de l’Intérieur. Celui-ci aurait confirmé l’existence des fonds, utilisé les moyens et les attributs de l’Etat pour convaincre et décider l’Emirati à investir dans l’opération. Au total, ce sont près de 48 millions de dollars qui auraient été soutirés à monsieur AL-YOUSSEF entre juillet 2008 et mars 2011. Ce dernier portera plainte auprès du tribunal de Lomé pour escroquerie en bande organisée notamment contre Bertin Sow AGBA, Pascal BODJONA et Loïk Le FLOCH-PRIGENT.

Principal accusé, l’homme d’affaires AGBA a été détenu du 7 mars 2011 au 16 avril 2013 suite à une remise en liberté provisoire. Deux mois plus tard, en juin 2013, il prit la poudre d’escampette. Il est depuis lors sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Le français Le FLOCH-PRIGENT a été arrêté le 15 septembre 2012 à Abidjan et extradé vers le Togo où il passera cinq mois en prison avant d’être libéré en février 2013 pour « raisons de santé ». Il reste

également inculpé. L’ancien ministre BODJONA est entendu le 10 août 2012, quelques jours après sa sortie du gouvernement comme témoin sous serment. Le 1er septembre il est accusé de «complicité d’escroquerie » puis détenu « pour les besoins de l’enquête ». Il sera provisoirement libéré le 9 avril 2013. Il est de nouveau incarcéré le 21 août 2014 avant d’être libéré d’office le 6 février 2016.


AVENIR POLITIQUE :

A sa sortie de prison, l’intéressé a laissé entendre qu’il poursuivrait sa carrière politique, sans préciser à quel niveau ni sous quelle forme. Ses supporters annoncent déjà un bing bang et une nouvelle configuration politique, qui redistribuerait les cartes. Eventualité qui ferait trembler les états-majors de la majorité à l’opposition ; les premiers craignant pour leur pouvoir, les seconds redoutant une concurrence crédible pour leur leadership. En clair, Faure GNASSINGBE et Jean-Pierre n’en dormiraient plus.

Pourtant, à l’analyse, les choses ne sont pas aussi évidentes, surtout sur un terrain aussi éminemment politique. En effet, si l’on peut concéder à l’ancien ministre qu’il ne rechigne pas à aller dans la mêlée, à prendre des coups et à en donner, de même que son audience médiatique plus que certaine, son poids électoral reste cependant aléatoire, voire relever du mythe. N’ayant jamais été confronté au suffrage universel, nul ne peut aujourd’hui mesurer ce que représente réellement monsieur BODJONA.

En France, des ministres ultra-populaires comme Bernard KOUCHNER n’ont jamais osé franchir le Rubicon d’une candidature à l’élection présidentielle ; tout comme des personnalités dites préférées des Français (souvent des sportifs ou artistes dont les Zinedine Zidane, Yannick Noah etc..) n’ont pas cru une seule seconde en leurs chances d’arriver à l’Elysée. Le soutien des médias pour l’essentiel circonscrit à Lomé, aussi massif qu’il fût, ne saurait à lui seul et définitivement suffire à donner le statut de principal challenger.


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