Sous un soleil de plomb de cette matinée de vendredi, la petite cour de l’école primaire publique de Glitto, environ 250 km nord de Lomé et à 60 km de la ville d’Anié, connaît une animation particulière. La centaine d’élèves se préparent à partir en vacance.
Une période pleine de suspenses tant pour les enfants que pour les parents et les directeurs d’établissements scolaires. « Je suis convaincu que peu d’enfants reviendront à la rentrée», regrette un parent. Où partent-ils? Que vont-ils y faire ? Reviendront-ils un jour ? Et dans quel état?
Ils sont des dizaines d’enfants à quitter, chaque année, le canton de Glitto « à la recherche du bonheur » à l’étranger. Plusieurs d’entre eux ont à peine 12 ou 13 ans. Le Benin (dont la frontière) est à quelques kilomètres, le Nigeria ou encore le Cameroun sont leurs destinations privilégiées. «Là bas, ils vont pouvoir aller a l’école, apprendre un métier pour devenir des hommes», s’imaginent les parents, pleins d’espoir en les confiant à l’aventure. Un espoir qui, au fil du temps, s’effrite pour laisser la place à l’inquiétude et à la peur de perdre à jamais son «enfant chéri».
En effet, plusieurs de ces « adultes prématurés » perdent leur vie dans ces voyages aux desseins inavoués. Ceux qui ont plus de chance reviennent souvent malades ou dépourvus de tout. Un vélo, un poste-radio et quelques sous, voilà, le butin de ces nombreuses années de galère. Un habitant du village de Kpatala raconte : « Il y a quelques mois, les corps de deux de nos fils ont été rapatriés du Nigeria. Ils sont partis dans les mêmes conditions que les autres avec des promesses d’un retour luxuriant… ».
Garanties du bonheur et d’une totale prise en charge, sont les « promesses » des individus véreux qui se livrent à ce commerce horrible. « Passeurs » comme ils se prénomment communément. Ils font le tour des villages du canton de Glitto et ses environs à la recherche de « marchandises ». Ils sont généralement originaires du milieu et servent d’intermédiaires entre les trafiquants et les parents. Ils convainquent ces derniers de laisser partir leurs enfants pour un avenir meilleur. « J’ai reçu 10.000 F CFA pour confier mes enfants. Ils vont à Lomé, selon le type qui est venu me voir », affirme un homme tout souriant et confiant d’un avenir meilleur pour son enfant. Assis sur un tronc d’arbre à la place publique du village, il ajoute ne pas connaitre le nom du passeur. « Je sais seulement que c’est un jeune bien habillé, avec des lunettes noires et qu’il parle notre langue. Il m’a même promis que mes enfants seront comme lui », dit-il.
Une aberration pour certains. Car comment confier ses enfants à un inconnu contre une maudite somme de 10000 F CFA? Mais pour qui a une fois expérimenté la vie en milieu rural au Togo, cette situation ne surprend pas beaucoup. Sols dénudés, sécheresses, manque d’infrastructures de base… bref, la misère ambiante reste le vécu quotidien de ces populations. La confirmation vient du gouvernement qui a publié début en 2014, les statistiques sur l’état de la pauvreté dans le pays. Les chiffres sont hallucinants, « 77% en zones rurales vivent avec moins d’un dollar par jour, soit (400 F CFA). La solution est alors toute trouvée pour se « débarrasser » de ces bouches supplémentaires . Les « confier » contre quelques pièces de CFA, surtout en cette période de la cherté de la vie.
Nombre d’enfants victimes de ce trafic sont alors vendus (sic) à des propriétaires de grandes plantations de café, cacao, canne à sucre du Nigeria, du Cameroun et de la Côte d’Ivoire … Des dizaines de ces enfants originaires du Togo ont été récemment retrouvés noyés sur les côtes marines gabonaises en 2008, après avoir sombré quelques jours plus tôt avec leurs embarcations de fortune. Des chiffres de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) estimaient que 218 millions d’enfants ont dû travailler dont 126 millions dans des emplois dangereux. Pis encore, 5.7 millions de ces êtres fragiles étaient en 2014 assujettis à un travail forcé ou à l’esclavage.
D’autres (les filles en majorité) deviennent des travailleurs de sexe dans les grandes métropoles africaines. Toujours selon l’OIT, ils étaient 1,8 millions à être soumis, en 2013, a la prostitution et à la pornographie. Leur « prix » varie en fonction de leur âge et de leur allure et vont souvent jusqu’à 200.000 F CFA. De l0 à parler d’une nouvelle traite négrière, il n’y a qu’un pas à faire.
Au Togo, le ministère de la Protection sociale semble dépassé par les événements. Surtout dans les zones rurales. Seules quelques organisations non gouvernementales continuent le combat dans ces régions. Des comités de vigilance ont ainsi été installés dans les milieux les plus touchés par le trafic. Mais les moyens limités et l’absence de volonté politique amenuisent leur pouvoir. «Nous n’avons pas de salaire. En plus, que peut-on contre les gens à qui la faim a occulté la conscience ?», s’interroge Romaric, un jeune du village d’Atchinedi.