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Liberté N° 2260 du 23/8/2016

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Grand Reportage: Atakpamé, 11 ans après les violences de 2005
Publié le mercredi 24 aout 2016  |  Liberté


© Autre presse par DR
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Parmi les villes du Togo dont le paysage fait le charme de leurs habitants et des visiteurs, Atakpamé ou la « cité des 7 collines » occupe incontestablement une place importante. Atakpamé est le chef lieu de la préfecture de l’Ogou et de la Région des Plateaux.

Au-delà du paysage qui fait l’attractivité de cette ville bâtie sur un site formé de relief, cette localité située à 160 kilomètres de Lomé est partagée par plusieurs ethnies. Si les Ifè sont les autochtones, ils offrent leur hospitalité aux Ewé, Kabyè, Adja, Tem, bref la majorité des ethnies togolaises, sans oublier les communautés étrangères représentées en grande partie par les Fon du Bénin voisin. L’agriculture est l’activité principale des populations de cette agglomération, qui célèbrent ODON-ITSU « fête des ignames », chaque année comme fête traditionnelle.

Les évènements dramatiques de 2005 liés à la crise née de l’élection présidentielle, qui a occasionné des centaines de morts et de déplacés au Togo, n’ont pas épargné Atakpamé. Cette ville a été le théâtre d’énormes carnages qui ont contraint à l’exil des habitants. Le tristement célèbre Major Kouloun Bilizim a été nommément cité dans plusieurs rapports comme l’un des commanditaires des exactions sur les populations d’Atakpamé. A la suite de cette « catastrophe humaine », la ville était devenue une ville morte. Entre peur et résignation, les populations d’Atakpamé ont préféré faire face à leur destin. Mais 11 ans après les massacres, la cité des 7 collines retrouve petitement ses marques d’antan. La vie reprend son droit de cité. Malgré tout, les vieux démons subsistent.


Une ville naturellement bénie


Atakpamé, cité des 7 collines comme son nom l’indique, est une ville où prédomine un relief composé de collines qui surplombent les plaines. Cette zone est réputée pour avoir des terres très fertiles et jouit d’un climat propice aux activités agricoles. « La population vit essentiellement de l’agriculture ici à Atakpamé. Dieu aidant, nous avons des terres fertiles et une pluviométrie généreuse. Et c’est pourquoi beaucoup de paysans surtout les allogènes ont migré dans notre région au cours des dernières décennies. Nous accordons plus d’importance aux cultures vivrières notamment du maïs au fonio en passant par le sorgho, le manioc, l’igname, la banane plantain, le taro. On cultive un peu de tout.

Nous avons la chance d’être dans la Région des Plateaux qui est le poumon de l’agriculture togolaise », déclare Jean, la quarantaine, rencontré sur le chemin de retour de champ situé sur une des collines près du quartier Doulassamé. Mais cette richesse qui devrait être un atout pour les agriculteurs n’en est pas un. Si de leur côté les populations se démènent pour produire avec le peu de moyens dont elles disposent, la transformation et les conservations restent une autre paire de manches. Parfois, certains paysans sont obligés de se passer de leurs productions surtout les fruits : mangue, banane, ananas, avocat, orange, mandarine…

«Les quelques groupements de paysans qui existent dans la localité sont très politisés et gérés avec du clientélisme. Parfois on t’exige la carte du parti Unir (parti présidentiel, Ndlr) avant de bénéficier des subventions et autres. C’est une triste réalité, mais c’est ce que nous vivons », renchérit Jean, le cultivateur.

Atakpamé se caractérise également par une forte humidité qui offre à ses habitants un cadre idéal de vie. Sur la pente nord du massif d’Atakpamé, s’alternent une dense savane boisée et une savane arbustive. L’urbanisation désordonnée a un impact négatif sur la faune. Mais l’évidence est qu’il fait beau dans cette ville.

Atakpamé serait une ville encore plus belle si elle a été construite avec un plan architectural bien réfléchi. La route principale qui se trouve être la (Nationale N°1), est le seul axe routier acceptable et praticable dans cette ville de plus de cent mille habitants. D’ailleurs à l’entrée de la ville, au niveau du rond point communément appelé Agbonou, cette voie est source d’énormes problèmes et cause souvent des accidents mortels. Ce rond point d’une importance capitale, qui mène directement au nord du pays et où des centaines de camions remorques, véhicules longs courriers et autres engins passent quotidiennement, ne dispose pas de feu tricolore. « C’est un rond point de la mort ici. Récemment deux camions se sont renversés en voulant prendre la déviation pour le nord. On a déploré plusieurs morts, mais depuis là, rien ne se fait pour réguler la circulation », déplore une revendeuse de fruit à Agbonou.

En dehors de cette route, les autres axes qui relient les quartiers entre eux sont de véritables «chemins de croix » sur lesquels il faut marcher avec prudence. Ils sont faits de pierres bizarrement plates et il faut soulever les pieds au risque de perdre tous les orteils. L’état de dégradation avancé de ces rues est dû en partie au relief, mais aussi à l’inexistence d’un plan directeur pour la construction de cette cité. Les routes sont de véritables labyrinthes qui se faufilent à travers plusieurs quartiers.



Si Atakpamé a un visage présentable aujourd’hui, c’est grâce en partie au jumelage de la ville avec celle de Niort en France. Cette ville a été longtemps ignorée par l’autorité politique du pays. Cette coopération décentralisée a permis la réalisation de quelques infrastructures dont la plus récente est la construction du marché public d’Atakpamé. Mais, comme au Togo la mauvaise gestion est la chose la mieux partagée, les fonds envoyés par les Niortais n’ont pas été utilisés aux fins prévues. Les constructions désordonnées sans un plan directeur se retrouvent dans presque tous les quartiers. Une vue aérienne de ses habitations montre des toitures vétustes sur la majorité des maisons.

La vie à Atakpamé


Comme dans toutes les communautés humaines, on retrouve pratiquement toutes les couches sociales à Atakpamé, même si la précarité, la misère et le chômage riment avec le quotidien de la majorité des populations. Les jeunes se disent laissés pour compte. Dans une zone comme Atakpamé, avec tant de potentialités sur tous les plans, il n’y a plus d’entreprises pouvant embaucher les jeunes. Les rares qui existaient ont toutes mis la clé sous le paillasson. Le plus récent cas est celui de la Nouvelle société cotonnière du Togo et d’une usine d’égrenage de coton.

Dans ces moments de vacances, les jeunes élèves déambulent dans la ville et manquent de repères. Certains sont sous les arbres et ne jouent que des jeux de cartes à longueur de journée. La plus grande majorité de ces jeunes s’adonnent à l’alcool avec les risques de santé qui vont avec. Malheureusement, le Centre hospitalier régional d’Atakpamé n’offre guère un service de qualité aux malades. Entre vétusté des matériels et un manque de personnel soignant qualifié, doublé du manque de moyens, les populations préfèrent recourir aux tradithérapeutes ou à l’automédication.


Néanmoins, Atakpamé abrite plusieurs institutions financières notamment les banques, assurances, et les agences de microfinances.

Le métier en expansion dans la localité est le Zémidjan (taxi-moto). Les hôtels sont légion dans la ville et détenus parfois par des autorités ou des dignitaires du régime en place, alors que l’activité touristique n’est pas développée. On ne peut pas visiter la ville d’Atakpamé et ne pas évoquer le fufu qui est la nourriture de base de ses habitants. Les bars de fufu pullulent un peu par tout dans la ville et les voyageurs en transit n’hésitent pas à faire escale pour déguster quelques boules accompagnées de sauces garnies de viandes issues habituellement de la chasse.

Encore des séquelles de 2005 et l’ombre du Major Kouloum

Les malheureux événements survenus dans cette ville en 2005 restent encore vivaces dans les esprits. Certaines maisons détruites à l’époque sont toujours en l’etat. Les handicapés physiques liés à cette crise se comptent dans la ville par dizaines. « Cette ville était un endroit où chacun vivait tranquillement. Mais les évènements de 2005 ont détruit pas mal de choses. Des maisons incendiées, des vies humaines enlevées, des familles entières brisées par des morts, mais aussi des déplacements. La CVJR (Commission Vérité, Justice et Réconciliation) a fait un travail, mais qui n’a pas porté ses fruits. Atakpamé reste encore une ville divisée », raconte Justin, la trentaine qui a vécu de près les sinistres évènements de 2005.

Etaient nommément cités comme les commanditaires des violences, le Major Kouloun Bilizim et ses acolytes. Ils sont doigtés comme étant responsables de graves et massives violations des droits de l’homme à Atakpamé. Ce qui fut confirmé par plusieurs rapports d’ailleurs.

Cet ex-Major de Gendarmerie et membre influent du comité politique du Rassemblement du peuple togolais (RPT devenu UNIR), a fait régner la terreur dans cette localité. Rien ne lui résistait. Il était «El Commandante » de la localité. Le jour et la nuit, le commencement et la fin. Plusieurs personnes rencontrées au cours de ce reportage n’ont parlé en mal que de lui. Certains allant jusqu’à le maudire. Mais son ombre plane toujours sur la ville, même s’il est de plus en plus discret et n’a plus de véritables pouvoirs. « Kouloum, je ne veux pas en parler », nous lance un jeune quand on a voulu aborder le sujet.


La question sensible de l’ethnie est toujours d’actualité par rapport à Kouloum. « Avant, pour toutes les cérémonies et activités publiques, vous devez demander la permission à Kouloum sans quoi, cela est perçu comme une défiance envers son autorité. C’était une honte pour nous que quelqu’un d’une autre région vienne régner en potentat sur nous pendant plusieurs années. On ne serait pas mécontent s’il faisait quelque chose de positif. Il n’a fait que diviser les gens ici. À cause de lui, certains ne veulent plus revenir dans la ville car il suscite toujours la hantise. Il fait toujours peur », darde Florent, instituteur dans une école privée de la ville.

Odon Itsu, une fête politico-traditionnelle


S’il y a un évènement autour duquel les fils et filles d’Atakpamé et de l’Ogou se retrouvent, c’est bien la fête Odon Itsu qui signifie littéralement la fête des ignames. C’est l’occasion pour les ressortissants de cette localité de mettre en exergue leur culture et tradition. Si dans le temps «Odon » qui veut dire « fête » et « Itsu », le génie de la Terre, la force mystérieuse qui fait pousser les céréales en général et les tubercules d’ignames en particulier, était marquée par des cérémonies spirituelles et traditionnelles dédiées à la terre nourricière, elle a perdu de nos jours toutes ses valeurs. Elle est complètement devenue une fête politique au cours de laquelle on loue plutôt les « œuvres gracieuses » du chef de l’Etat, on lui chante des « atalakou »(louanges), pire les prestidigitateurs aussi lui taillent une place dans leur magie « Faurecée ». La cérémonie d’apothéose de l’édition 2016 est une illustration parfaite de la dévalorisation avancée des coutumes dans la préfecture.

Déjà dans la matinée du samedi 13 août 2016, la majorité de la population s’est regroupée dans le stade de la ville. Les groupes folkloriques étaient en nombre pour agrémenter l’évènement. Les chefs traditionnels dans leurs meilleurs accoutrements, sans oublier les autorités municipales et politiques. Le chef de l’Etat étant « très chargé » (une autre expression du « bêêïsme togolais »), s’est fait représenter par le ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, Fiatouwo Sesénou. Pour l’occasion, les jeunes filles et garçons se sont endimanchés. Cette cérémonie qui devrait être consacrée aux rites culturels, a donc laissé place aux discours politiques, reléguant ainsi au second plan le caractère traditionnel de la fête.

Tout a commencé par le porte-parole des chefs traditionnels de la préfecture de l’Ogou, qui, dans ses envolées lyriques, a salué « les efforts de son Excellence Faure Essozimna Gnassingbé, qui ne cesse de penser à [leur] préfecture ». Il a par ailleurs réaffirmé le soutien « indéfectible » de la population d’Atakpamé à sa politique de réconciliation (sic).

Et comme on pouvait s’y attendre, le représentant personnel du chef de l’Etat , Me Fiatouwo Sesénou a tenu un discours à connotation politique, même s’il a essayé d’y mettre quelques grains de « sels culturels »

Comme si cela ne suffisait pas, le prestidigitateur de la préfecture est allé de sa magie. Qui va donc se négliger ? Devant l’assistance, ce dernier, après avoir sorti une feuille vierge sur laquelle il a mis une potion noire, a eu le mérite de ressortir la même feuille sur laquelle il est écrit : « NOUS RESTERA TOUJOURS FAUR ». Mais le super magicien ne s’est pas arrêté là. Il voulait que sa mise soit doublée. A un second coup, il ressort « LE PEUPLES TOGOLAIS EST AVEC VOUS ».

« Vous voyez à quoi on réduit notre fête traditionnelle ? C’est triste que la politique s’en mêle. En plus, le parti au pouvoir a récupéré cette fête pour des fins électoralistes. Malheureusement ils sont encore divisés entre eux-mêmes. Il y a deux camps : celui de Kouloum qui n’est pas venu au terrain, et celui de Georges Aïdam. Et depuis des années, c’est ce que nous vivons », déplore Gilbert.

Dans toute cette ambiance, les femmes guerrières qui ont passé trois nuits dans une brousse et se sont recouvertes de feuilles d’ignames, ont tout de même assuré le spectacle et sauvegardé l’aspect mystique de la fête.

Après les évènements dramatiques qui se sont déroulés à Atakpamé en 2005, cette ville était devenue presque un désert. Malgré les arbres géants qui embellissaient sa verdure, les collines, sources de vie et de fierté des populations, étaient devenues des « No man’s land ». Une décennie après, Atakpamé renaît de ses cendres, mais il reste irréversiblement du chemin à faire. La « tente » dressée par les autorités pour la réconciliation dans cette localité n’est que pur mirage. Encore plus paradoxal, Mgr Barrigah Bénissan, chantre de la réconciliation, est évêque du diocèse d’Atakpamé où la division règne en maître. La ville a été délaissée, pourtant c’est elle qui a vu un de ses fils, en la personne de Nicolas Grunitzky diriger ce pays. Ce dernier a sa tombe dans la localité. Atakpamé ne mérite-t-elle pas mieux ?

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