Promis il y a déjà vingt ans, le corridor reliant le Nigeria et la Côte d’Ivoire se fait toujours attendre. Mille kilomètres, cinq pays, cinq jours… Reportage entre la quiétude des plages et le calvaire des frontières.
Elle roule des yeux comme certaines balancent des hanches. Du genre insolente, qui vous dit de passer votre chemin lorsque vous êtes une femme. Mais tente de vous hypnotiser si vous êtes un homme. La jupe est courte, le teint rendu blafard par un maquillage trop chargé, les ongles vernis d’un rouge pétant. Appelez-la Eugénie. Assise au bar de ce grand hôtel de Lagos, sirotant son verre, elle patiente. Elle vient « deux ou trois soirs par semaine».
Et à chaque fois, la combine fonctionne : attendre qu’un client esseulé du luxueux établissement s’arrête enfin, lui faire la conversation et « aller plus loin s’il en a envie ». Ce n’est pas de la prostitution, assure-t‑elle. Cela lui permet de « rencontrer des hommes d’un certain standing » et «de recevoir des cadeaux, de se payer des choses ». Son petit business, Eugénie l’assume. Il lui permettra « un jour » d’en lancer un plus grand, de créer sa propre marque de vêtements.
Lagos, ville aux mille rêveurs
Aucune chance que ses parents soient au courant de son activité nocturne : « This is Lagos », dit-elle en souriant. Dans cette mégalopole de 20 millions d’habitants, la plus peuplée d’Afrique, on peut se dédoubler, segmenter sa vie et en cacher certains aspects.
Avec son chaos organisé, ses gratte-ciel et ses bidonvilles, ses milliers de « kéké » (tricycles à moteur) et ses 4×4 luisants, ses supermarchés et ses vendeurs ambulants, son bruit de générateur permanent et ses coupures de courant, ses bo uchons et ses trajets interminables, ses innovations quotidiennes et ses archaïsmes inattendus, ses caricatures et, finalement, son exceptionnelle singularité, Lagos l’ogresse absorbe tout. Les espoirs, surtout. Pour vous les rendre, concrétisés ou anéantis, c’est selon.
« Work hard, play hard » (« travailler dur pour profiter à fond »), aiment à répéter les jeunes cadres en pleine ascension. Tout dans leur environnement les pousse à adopter cet adage américain : les panneaux publicitaires vantant le dépassement de soi, les émissions de coaching à la radio ou à la télé « pour changer de vie », les prêches dans les églises glorifiant l’ambition… ou tout simplement les près de 20 000 millionnaires (en dollars) que compte la ville, avec leurs luxueuses demeures de Victoria Island (VI). ... suite de l'article sur Jeune Afrique