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Interview exclusive avec Dr Yves Ekué Amaïzo
Publié le mercredi 25 janvier 2017  |  Kanal K




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MIS EN PERSPECTIVE DE SYLVAIN AMOS, KANAL K L’histoire nous apprend que Sylvanus Olympio, 1er Président du Togo a été assassiné en janvier 1963 lorsqu’il envisageait d’opter pour une monnaie nationale autre que le Franc des colonies françaises d’Afrique, une monnaie de la France. Car pour lui, une indépendance économique fonde l’indépendance politique. Feu Thomas Sankara du Burkina Faso avait des projets de développement à la base pour combattre les formes diverses de postcolonisation. Il fut aussi sauvagement assassiné, vraisemblablement par des personnalités burkinabés à la solde de la France. On peut citer encore, entre autres, Modibo Keita du Mali, Sékou Touré de la Guinée Conakry… tous sont tombés sous les balles assassines de l’expansionnisme économique occidental dès lors qu’ils orientaient leur lutte de liberté et de souveraineté vers une indépendance monétaire afin d’approfondir l’indépendance politique et culturelle de leurs pays respectifs.



Kanal K. Question 1 : Est-ce-à dire que quiconque veut combattre la FCFA trouvera la France sur son chemin ?

Dr Yves Ekoué Amaïzo (YEA): Tout d’abord, je remercie Kanal K pour l’invitation. Je précise que l’on ne combat pas le FCFA mais on s’en affranchit ou pas. A votre question, est-ce que la France sera sur la route de toute tentative de s’en affranchir, la réponse est oui. En effet, la France est membre du conseil d’administration de la Zone Franc qui gère l’ensemble des activités monétaires de cette zone y compris le FCFA. La France a un droit de véto sur l’ensemble des décisions. Mais les chefs d’Etat africains sont souvent choisis ou tolérés au pouvoir pour justement ne pas mettre en cause cette hégémonie, ce d’autant que la France n’est pas géographiquement situé dans la zone Afrique et que le Franc Français a disparu au profit de l’Euro

Kanal K. Question 2 : Le Franc CFA (FCFA) est-il selon vous une entrave à l’indépendance économique, voire politique, des Etats membres comme l’ont dit éminentes personnalités économiques africaines ?

YEA. Il faut d’abord préciser ce qu’est une entrave. Il ne s’agit pas d’une simple « barrière » que l’on ôte sur son chemin. La véritable question est de savoir si les dirigeants africains veulent s’affranchir du FCFA et si oui, est-ce qu’il existe un consensus sur la solution de transition à savoir,
1. opter pour une monnaie nationale dans chacun des pays, ou alors opter pour une monnaie commune au niveau sous-régional ;

2. organiser toutes les structures indispensables à la bonne gouvernance d’une monnaie à commencer par une économie transparente au plan de l’information et bien gérée avec un minimum de déficit.

3. choisir la parité d’une monnaie commune comme un équivalent général (moyen de paiement, de réserve et de compte) dans la zone et adossé à un panier de monnaie avec la présence de la monnaie chinoise. Cette monnaie pourra d’ailleurs cohabiter pendant la période de transition pour éviter des ruptures dans l’activité économique et des assèchements possibles par des forces extérieures hostiles à ce changement monétaire ;

4. trouver un payeur en dernier ressort en cas de déficit non couvert suite à une mauvaise gestion par les Etats les moins disciplinés de la nouvelle zone.

Kanal K. Question 3: Les Pays de la Zone Franc CFA sont-ils vraiment prêts pour mettre en circulation leurs propres monnaies ? Tout récemment le Président Sénégalais Macky Sall remettait en cause cette sortie collective de la Zone Franc et de l’abandon du FCFA. Que pensez-vous de la position de ce Président ?

YEA. La réponse est non. Il y a des pays qui ont choisi pour des raisons diverses d’accepter la servitude monétaire de manière volontaire. Il n’est pas impossible que des pressions extérieures les y contraignent. Mais certains pays ont des dirigeants qui ne sont pas très proactifs pour
soutenir les travaux des progressistes africains ayant comme objectif la création d’une monnaie commune. Pour ce qui de ces dirigeants africains qui soutiennent la position de la France, il faut leur demander de faire des propositions autres que celle de conserver le FCFA en l’état. Vous serez
étonnés de leur silence ou proposition non opérationnelle. Je rappelle d’ailleurs que parmi ceux qui contestent le FCFA, tous ne souhaitent pas la disparition du FCFA. Certains veulent des aménagements qui préserveraient l’autorité de la France sur la zone franc mais avec des possibilités plus accrue pour les Banques centrales de soutenir l’activité économique de nos pays, à savoir en réalité à accepter de payer pour les déficits structurels. Si ces nouveaux crédits allaient pour l’infrastructure, la santé, l’éducation ou le logement, personne n’y verrait d’inconvénient.

Mais nombreux sont les crédits octroyés qui finissent dans des activités de prestige ou non rentables. Au final, cela pourrait même déstabiliser les banques centrales qui doivent malgré tout rester indépendantes. Par contre, il est bon de s’interroger sur le besoin de maintenir en place des dirigeants qui sont des piètres gestionnaires des affaires économiques de l’Etat. On en revient donc soit à la vérité des urnes ou alors au choix des Africains eux-mêmes


Kanal K. Question 4 : Outre le débat suscité par le franc CFA, l’actualité gambienne tient les Panafricains en haleine depuis des semaines. Mr Adama Barrow, le Président élu de Gambie, vient de prêter serment à l’ambassade gambienne à Dakar. Investir un Président dans une ambassade, donc à l’étranger, est-ce légal selon vous ?

YEA. L’actualité en Gambie intéresse tout le monde et pas seulement les tenants du panafricanisme. Sur votre question, Oui, c’est légal que le Président élu de Gambie, Mr Adama Barrow, empêché par le pouvoir restreint de Mr Yahya Jammeh de faire son investiture dans son pays, de le faire dans toute ambassade de la Gambie à l’étranger. Je rappelle que les ambassades sont des espaces délocalisés des territoires nationaux.


Kanal K. Question 5 : Pour une fois, la CEDEAO a fait montre d’une constance dans une ligne politique plutôt respectable. Le summum fut l’introduction et l’obtention de l’onction de l’ONU sur une résolution de l’organisation sous-régionale, par le Conseil de Sécurité. Les forces ouestafricaines se sont mobilisées et ont pénétré le territoire gambien – même s’il y a un repli momentané – pour installer le nouveau pouvoir légitime de Barrow. Que vous inspire l’attitude de la CEDEAO dans la gestion de la crise gambienne ?

YEA. 19 janvier 2017 – L’Organisation des Nations Unies (ONU) a vu nouveau Secrétaire, António Guterres du Portugal, ex-Haut-Commissaire du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR), prendre ses nouvelles fonctions le 1er janvier 2017. Il s’est inscrit dans la ligne droite de ses prédécesseurs. En effet, l’ONU s’aligne toujours sur les positions de l’Union africaine et de l’organisation sousrégionale, en l’espèce la CEDEAO. C’est parce que les dirigeants africains ne sont pas unis que leurs positions ne sont prises en compte à l’ONU. Cela étant dit, Mr Guterres n’avait aucune objection à la proposition de la CEDEAO soutenue par l’Union africaine d’assurer une transition pacifique en Gambie.

C’est ainsi que sur la base de la résolution 2337 présentée par le Sénégal et non pas la CEDEAO, les 15 membres du Conseil de sécurité l’ont adopté à l'unanimité de ses membres quelques heures après l'investiture à l'ambassade gambienne à Dakar de M. Barrow comme Président de la République islamique de Gambie. Il s’agit de mettre en application la décision proclamée par la Commission électorale indépendante de la Gambie qui stipulait que M. Barrow a été reconnu Président de la Gambie et « dépositaire de la volonté librement exprimée du peuple gambien ». Il s’agit donc bien de respecter la « vérité des urnes ».
En fait, le Conseil de sécurité en a profité pour exprimer son « « soutien sans réserve » à la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et à l’Union africaine (UA) dans l'engagement que ces institutions ont pris de « garantir, en privilégiant les moyens politiques, le respect de la volonté du peuple gambien, telle qu'elle ressort des résultats de l'élection présidentielle du 1er décembre ». En fait, il s’agit de soutenir la diplomatie mais aussi les moyens militaires pour faire respecter la vérité des urnes en Gambie

Mais la décision de Mme Zuma, la Président de la commission de l’Union africaine, doit être saluée aussi à savoir que le Conseil de paix et de sécurité de l'UA a affirmé le caractère inviolable des résultats de l'élection présidentielle tenue le 1er décembre 2016 en Gambie, et annoncé que, à
compter du 19 janvier 2017, l’UA cesserait de reconnaître M. Jammeh comme Président légitime de la république islamique de Gambie.
Mais tous les acteurs extérieurs à savoir l’ONU, l’UA et la CEDEAO se sont alignés sur les propositions de l’ONU à savoir ; « faire preuve de retenue, de respecter l'état de droit et d'assurer une transition pacifique du pouvoir » en Gambie

Comme personne n’est dupe du rôle des forces armées gambienne, que ce soit celles en charge de la défense, de la sécurité du pays ou rapprochée de Mr Jammeh, l’ONU a aussi recommandé et rappelé que ces forces gambiennes ont le « devoir et l'obligation de se mettre à la disposition des
autorités démocratiquement élues ». Les militaires gambiens avaient annoncé clairement qu’ils ne se battraient pas contre les forces militaires de la CEDEAO. Sagesse ou peur de mourir ? Dieu seul sait. Ce qui est sûr, si les pays occidentaux mais aussi certaines ONG à la solde des occidentaux n’avaient pas insisté trop tôt de « trainer » le Président sortant Jammeh à la Cour Pénal Internationale, alors qu’il a retiré son pays de cette institution, peut-être que l’ex-Président Jammeh ne serait pas revenu sur sa décision de reconnaître les résultats des élections où il était battu. Par ailleurs, il a demandé à rester dans son pays, ce qui bien sûr pose problème compte tenu de sa propre sécurité et les possibilités de coup d’Etat ultérieur. Donc, il n’y a pas d’autres alternatives pour le moment que de convaincre ce Président putschiste avec 22 ans au pouvoir de quitter volontairement la Gambie, pour d’autres cieux. Pourquoi pas le Qatar puisqu’aucun des pays africains ne respectent leur engagement envers les Présidents déchus ?
Au total, la CEDEAO et l’UA africaine sortiront honorés de cette médiation sans effusion de sang

Kanal K. Question 6 : Des médiations se sont succédées, multipliées, pour offrir une sortie «honorable » à Yahya Jammeh. Les bons offices de la Mauritanie et de la Guinée Conakry, réputés proches de l’ex-Président Jammeh, n’ont pas abouti, avec un Yahya Jammeh insensible aux
pressions. L’option militaire est-elle l’ultime solution ?

YEA. L’option militaire n’est qu’une option en dernier ressort et ultime. Mais Mr Yahya Jammeh a accepté de céder le pouvoir. Donc, il s’agit de régler les problèmes de ses biens personnels qu’il ne faut pas confondre avec ceux de l’Etat et surtout le convaincre d’aller se reposer au Qatar. En effet,
l’impunité qui semble être la solution proposée par les chefs d’Etat africains sonnent comme une injustice pour toutes les victimes et familles endeuillées et psychologiquement touchées par les 22 années d’un lieutenant d’armée qui à la faveur d’un coup d’Etat a pris le pouvoir en Gambie le 22 juillet 1994. Rappelons toutefois que ses liens avec le Qatar et le monde arabe et musulman en général l’a conduit à changer la langue officielle de la Gambie de l’anglais à l’arabe et de faire de la Gambie, une république islamique ce depuis le 10 décembre 2015. Bref, le cinquième mandat de Mr Yahya Jammeh est le mandat de trop. Le prochain pays sur la liste des mandats présidentiels de trop semble être le Togo

Kanal K. Question 7 : Une fois Le nouveau Président Adama Barrow installé au pouvoir grâce à des forces étrangères, comment ce dernier arrivera-t-il à gouverner librement et légitimement son pays
si l’armée nationale continue à soutenir Yayia Jammeh et que des citoyens considèrent l’implication des forces de la CEDEAO comme une ingérence, voire une agression ?

YEA. L’armée nationale de la République islamique de Gambie a déjà fait allégeance au nouveau Président Adama Barrow. Ceux qui considèrent que les forces de la CEDEAO font de l’ingérence ont discrètement et sans crier gare, abandonné Mr Yayia Jammeh. C’est la garde rapprochée de Mr Yayia Jammeh qui lui a conseillé de considéré que l’intrusion des forces de la CEDEAO doit être considéré comme une déclaration de guerre et donc une agression. Mais avec la décision de Mr Yahia Jammeh de quitter le pouvoir, le problème de l’ingérence peut se poser sous forme de ce que le Président Adama Barrow doit « payer » en retour à la CEDEAO et surtout au Sénégal. Donc, la question est de demander à tous les chefs d’Etat de la CEDEAO de faire des déclarations qu’ils ou elles ne vont pas exiger d’être payés en retour pour leur « médiation »… Connaissant le fonctionnement des dirigeants africains, rien n’est moins sûr

Kanal K. Question 7 : On va s’intéresser au 27e sommet Afrique - France qui s’est tenu au Mali la semaine passée. Répondant à une question d’un journaliste français sur leur règne trop long au pouvoir contrairement à François Hollande qui décide de partir après 5 ans de gouvernance, trois chefs d’Etats africains (Congo (Brazzaville), Guinée Equatoriale et Togo) par leurs réponses affirmaient leur volonté de s’éterniser au pouvoir. La démocratie dans certains pays africains estelle toujours en péril ?

YEA. Faure Gnassingbé, celui qui dirige le Togo avec l’appui des forces militaires, a répondu « qu’il ne voyait pas de rapport » entre le départ du Président François Hollande en France après 5 ans de pouvoir et les 50 ans au pouvoir de sa famille et son clan. A-t-il été surpris par la question ? Est-il
naïf ou s’agit-il de botter en touche ? Lui seul sait !

Sur la 2e partie de votre question, la démocratie, africaine ou pas, se construit tous les jours et s’approfondie avec des institutions stables et structurées sur la base de règles et une justice et des médias indépendants. Mais encore faut-il démarrer avec la vérité des urnes. Sur ce plan, le Togo a opté pour la contrevérité des urnes et certains partis d’opposition ont refusé de contester cela en refusant de déposer des recours contre les résultats des élections présidentielles passées. Ils sont donc complices du blocage des réformes constitutionnelles et institutionnelles au Togo au même titre que celui au pouvoir au Togo qui ne voit pas de rapport entre démocratie et réformes constitutionnelles au Togo.

Je vous remercie.

21 janvier 2017
Dr Yves Ekoué AMAÍZO.
© Coordonnateur CVU-TOGO-DIASPORA

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