Dans une interview publiée sur le site de ''L’Indépendant Express'', Thomas Koumou, président de l’association Veille Economique est revenu sur la situation de la dette publique du Togo. « Le niveau de notre dette publique a violé le pacte de stabilité et de croissance de l’UEMOA », diagnostique-t-il. Il répète que l'Etat doit miser plutôt sur «les secteurs primaire et secondaire pour avoir de la marge et pouvoir réorienter notre économie». Lire plutôt !
L’Indépendant Express : Thomas Dodji Nettey Koumou Bonjour,
Vous chiffrez à 56 milliards de francs cfa, les intérêts prévisionnels sur la dette publique du Togo pour l’année 2017. Est-ce que ces chiffres ne donnent pas de tournis et font peur ?
Thomas KOUMOU : (Rires) Non, ça ne devrait pas faire peur. C’est vrai que c’est inquiétant, nous avons une situation d’endettement public qui est inquiétante. Alors, ce que je peux dire davantage c’est que dans le budget de 2017, les gouvernants ont prévu le remboursement de notre dette en principal à hauteur de 378 milliards de FCFA et le remboursement des intérêts pour un peu plus de 56 milliards de FCFA. Lorsque vous faites l’analyse sur ces 56 milliards, vous vous rendez compte que le coût additionnel de notre endettement pour 2017 représente environ 1800 frs par seconde. Ainsi, il faut que nos compatriotes comprennent que le niveau de notre dette publique a violé déjà le pacte de stabilité et de croissance de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africain, ndrl) qui veut que l’endettement public d’un pays soit inférieur à 70% de sa richesse nationale c’est-à-dire du PIB (Produit intérieur brut, ndrl). Donc le Togo malheureusement après l’initiative PPTE (Pays pauvre très endetté, ndrl) s’est rendetté à un rythme effréné et est aujourd’hui à 75% de sa richesse nationale, de son PIB.
Au jour d’aujourd’hui, lorsque vous analyser le budget, vous vous rendrez compte que nous sommes dans un cycle où nous sommes obligés de nous endetter pour pouvoir rembourser notre dette puisque dans le budget de 2017, vous avez 412 milliards d’endettements, c’est-à-dire de nouveaux endettements contre 378 milliards de remboursement du principal, de l’ancienne dette. Ce qui veut dire qu’il y a une dette additionnelle de 34 milliards qui flotte dans l’air, et qui va venir s’ajouter à l’encours de la dette antérieure. Donc nous nous endettons de plus en plus, année après année, le positionnement de notre économie, en tout cas sa trajectoire aujourd’hui, la politique économique, ne nous semble pas orientée comme il se doit pour permettre de créer de la richesse et rembourser cette dette sans pour autant contracter de nouvelles dettes. Voilà la situation de notre pays. Nous avons une balance commerciale qui est déficitaire, nous avons une balance de transaction courante qui est déficitaire, nous avons au budget de 2017 creusé notre déficit budgétaire par rapport à 2016, nous sommes passés de 14% déficit budgétaire à 19% en 2017 alors que la Côte d’Ivoire par exemple est à 3,5% de PIB. Voilà les difficultés dans lesquelles se trouve notre pays.
S’endetter encore et encore pour payer ses dettes, n’est-ce pas finalement un cycle infernal ?
Mais bien sûr. C’est ce que certains économistes togolais appellent « le cycle de l’insoutenabilité de la dette ». Lorsque vous n’êtes pas capable par vos propres efforts de rembourser votre dette et que vous êtes obligés à chaque fois pour financer notre déficit budgétaire, de contracter de nouvelles dettes, et à n’en plus finir, vous êtes dans un cycle qui vous conduira irrémédiablement vers une situation de blocage. Et si nous rentrons dans une situation où l’insolvabilité se greffe à une insoutenabilité de la dette, je pense que là, tous les togolais comprendront ce que nous disons depuis 2 ans. Parce qu’il faut rappeler qu’à Veille Économique, nous étions les premiers à faire comprendre à nos gouvernants que la situation d’endettement public n’était pas bonne et qu’il fallait très rapidement changer de trajectoire. Mais cela n’a pas été fait à l’époque où on était à 58% du PIB. Aujourd’hui malheureusement, on se retrouve à 75%, 2 ans plus tard.
Refuser les aides du FMI, et retrouver le même FMI pour solliciter un appui budgétaire, le Togo est-il vraiment obligé ?
Mais nous sommes obligés, nous y avons été obligés. D’abord par la situation économique et ensuite par les partenaires du Togo. Dans le budget 2016, au niveau de la ligne « appui budgétaire », le Togo sollicitait 32 milliards mais le Togo a eu zéro franc. Ça veut dire que les partenaires voulaient absolument que le pays s’explique avec le FMI pour qu’ils puissent comprendre la situation réelle du pays notamment par rapport à son endettement mais également par rapport à sa structure économique avant de s’aventurer sur d’autres appuis budgétaires. Donc au jour d’aujourd’hui, nous avons été obligés de rentrer dans ce programme. On annonce un programme triennal (sur 3 ans) qui va certainement être conditionné. Ensuite les déblocages de fonds seront également conditionnés, donc il est clair que dans ces conditions, nos compatriotes doivent prier.
Que doit-on faire pour sortir de cette difficile situation, M. Koumou ?
Ça fait deux ans que nous disons ce qu’il faut faire. Nous disons dans un premier temps qu’il faut retourner au basique. Il faut repositionner notre économie dans le secteur primaire. L’agriculture et le minier. Il faut restructurer notre agriculture, la rendre plus productive et plus compétitive. Il faut récupérer notre secteur minier pour augmenter nos ressources fiscales et non fiscales par l’augmentation des participations du Togo dans les actionnariats. Ça, nous l’avons dit depuis 2 ans et personne ne nous écoute. Donc il faut commencer par là. Nous devons recommencer par le secteur primaire. Au jour d’aujourd’hui, tous les investissements qui ont été faits depuis 5 ans, ont été faits dans le secteur tertiaire. Nous avons dit depuis 2 ans que le secteur tertiaire n’était pas le secteur le plus productif. Il faut commencer par les secteurs primaire et secondaire pour avoir de la marge et pouvoir réorienter notre économie mais personne ne nous a écoutés. J’espère que le Togo va pouvoir sortir de ces difficultés ; je le souhaite sincèrement.