Lorsque François Hollande est venu au pouvoir en 2012, il a décidé d’inaugurer une nouvelle ère dans les relations de l’Elysée avec l’Afrique. Mais aujourd’hui, on constate que peu de choses ont changé.
On avait trop tôt pensé qu’ils ne seraient pas les bienvenus chez Hollande. Ce sont pour la plupart ces chefs d’Etat africains qui sont fondamentalement opposés à l’alternance politique dans leurs pays et qui s’accrochent au pouvoir comme moule au rocher. C’est le cas du Camerounais Paul Biya qui détient parmi le groupe, le record de longévité au pouvoir. Malgré ses 80 piges, le successeur d’Ahmadou Ahidjo se croit toujours bon pour le service, après 31 ans passés dans le fauteuil présidentiel. Le Congolais Denis Sassou Nguesso n’est pas loin de réaliser l’exploit de son aîné et voisin du Sud. L’addition de ses deux mandats, le premier de 1979 à 1992 et celui de 1997 à aujourd’hui, lui donne 29 ans au pouvoir. Au Nord du Cameroun, le record de Biya n’est toujours pas battu. Le Tchadien Idriss Déby Itno n’est au pouvoir que depuis 23 ans. Quittons l’Afrique centrale pour l’ouest du continent où se trouve le Togo. Dans ce petit pays, on est devant un cas de dévolution quasi monarchique du pouvoir. Depuis 46 ans, c’est la famille Gnassingbé qui est sur le trône. De 1967 à 2005, ce fut le général Gnassingbé Eyadéma. A sa mort au pouvoir en 2005, son fils Faure Gnassingbé est installé de force par l’armée dans le fauteuil de son père, pendant que le président de l’assemblée nationale, successeur constitutionnel, était maintenu hors du pays, pendant que toutes les frontières étaient hermétiquement bouclées. Le tollé général suscité à travers le monde par cette succession scandaleuse, obligea le régime à organiser dans la foulée, des élections très contestées, que le même Faure Gnassingbé remporta. Depuis 2005, il est au pouvoir et compte visiblement se présenter en 2015 pour un troisième mandat de 5ans. Last but not least, il y a le président Burkinabé Blaise Compaoré. Depuis 1985 qu’il a fait passer de vie à trépas son frère d’armes, le capitaine Thomas Sankara, président de l’époque, il ne veut plus lâcher les manettes du pouvoir. Son actuel projet de création d’un sénat est perçu par ses opposants comme des manœuvres pour briguer un autre mandat après 28 ans de pouvoir. En plus de leur refus de l’alternance dans leurs pays respectifs, on reproche à certains d’entre eux, l’enrichissement illicite. C’est le cas surtout de Denis Sassou Nguesso contre qui des plaintes ont été déposées en France pour biens mal acquis. Paul Biya est également accusé des mêmes crimes économiques ainsi que le président équato-guinéen Téodoro Obiang Nguema Mbasogo, sans oublier la famille Bongo Ondimba père et fils qui règne sur le Gabon depuis 45 ans. Pendant longtemps, leur nom n’était pas sur l’agenda des visites de chefs d’Etat africains à l’Elysée. Pendant que Thomas Boni Yayi du Bénin, Macky Sall, du Sénégal, Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire, et autres Mahamadou Issoufou du Niger passaient et repassaient en France, ils attendaient impatiemment leur tour de serrer la mains de François Hollande.
Le sommet franco-africain de l’Elysée, du pain bénit pour certains dirigeants
Des événements imprévisibles, véritable pain bénit pour ces chefs d’Etat, vont leur permettre de sortir de leur isolement. L’incursion des jihadistes au Mali, les prises d’otages français au Niger, au Cameroun, au Nigeria et les conflits internes à certains pays, comme la Centrafrique actuellement, vont contraindre Paris à se rapprocher de ces régimes. Pour la libération de ses otages la France a eu recours à certains de ces «indésirables», mais dont le leadership ne souffre d’aucune contestation dans leur zones d’influence respectives. Blaise Compaoré a ainsi usé de son entregent dans la crise malienne pour établir le dialogue entre les rebelles touareg du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad, (MNLA) et le pouvoir de Bamako. L’expertise avérée du président du Faso, désormais incontournable réconciliateur dans la sous-région, est reconnue par l’Elysée qui l’a, avant Hollande, sollicité pour régler la crise au Togo, et en Côte d’Ivoire. Depuis quelque temps, Paul Biya s’est lui aussi taillé une solide réputation de «libérateur d’otage». C’est grâce à lui que la famille Moulin Fournier (l’homme, sa femme et leur quatre enfants ainsi que l’oncle des enfants), au total 7 personnes, ont recouvré la liberté le 19 avril 2013, deux mois après avoir été capturés dans le parc naturel de Waza au nord du Cameroun. Des informations difficiles à vérifier font même croire que le président camerounais aurait payé une rançon pour obtenir cette libération des otages. Quant au Tchadien Idriss Déby Itno, n’eut été le savoir-faire de ses forces spéciales en matière de combat dans le désert, les forces françaises de l’opération Serval se seraient enlisées dans les dunes du nord Mali. Hollande doit donc une fière chandelle à Déby dont les troupes ont même défilé devant lui à Paris lors des cérémonies du 14 juillet aux côtés des autres armées africaines notamment togolaises, béninoises, sénégalaises, burkinabé qui appuient la France au Mali. Depuis le déclenchement le 5 décembre 2013 de l’opération Sangaris pour rétablir l’ordre en Centrafrique, Hollande n’a de cesse de rappeler que ce sont les forces africaines qui prendront la relève. Les forces congolaises camerounaises, tchadiennes, gabonaises déjà opérationnelles sur le terrain, viennent d’être renforcées par un contingent burundais. Le sommet de l’Elysée sur la sécurité et la paix en Afrique du 5 au 7 décembre 2013 à Paris avait un double sens pour François Hollande: remercier de vive voix certains chefs d’Etat pour leur soutien à la France et recevoir officiellement ceux qui attendaient impatiemment d’être reçu depuis sa prise du pouvoir. Parmi eux, on retrouve même les dirigeants les plus contestés comme l’inénarrable Yahia Jammeh de Gambie. Il ne restait que Robert Mugabe, pour clore la liste des indésirables. Mais le Zimbabwéen ne semble pas désespérer. Aux obsèques de Mandela, il a côtoyé de près son homologue français, en attendant qu’une occasion impose à celui-ci de le recevoir. C’est donc un quasi blanc-seing que le président français a donné depuis quelque temps à ces chefs d’Etat dont la gouvernance est sujette à caution. Cette blague de Hollande devant ses hôtes africains lors du sommet de Paris, est anecdotique. Le président français avait promis aux dirigeants africains que la France allait former leurs jeunes cadres afin qu’ils puissent prendre la relève... non pas des chefs d’Etat, mais plutôt des dirigeants actuels d’entreprise. François Hollande qui ne voulait pas être un rabat-joie, savait bien que la plupart de ses hôtes ont signé un contrat à durée indéterminée avec le pouvoir dans leurs pays. Leur demander de passer un jour la main, risquait de gâcher cette «belle fête de famille».
Charles d’Almeida