Le président de la commission de la Cédéao, Marcel de Souza, de passage à Paris pour les Entretiens Eurafricains animés par Claude Fischer-Herzog, est l’invité de RFI. Il révèle que Yahya Jammeh ne bénéficie d'aucune immunité judidicaire de la part de la communauté internationale. Le n°1 de la Commission économique des Etats d'Afrique de l'Ouest s'exprime aussi sur la demande d'adhésion du Maroc et le blocage politique en Guinée Bissau pour laquelle il lance un quasi ultimatum.
RFI : Marcel de Souza, la démocratie a triomphé en Gambie et c’est un grand succès pour la Cédéao. Mais est-ce qu’on n’est pas passé tout près de la guerre ?
Marcel de Souza : Non, on n’a jamais eu l’intention d’aller faire la guerre. Nous avons d’abord privilégié la démocratie et jusqu’à l’ultime médiation, c’était toujours le dialogue. Mais nous étions sûrs que si on n’avait pas fait la pression militaire également en quadrillant Banjul sur terre, sur mer et dans les airs, nous n’étions pas certains que Yahya Jammeh aurait accepté de partir. Et donc dès qu’on a fini ce boulot, le 20 février, les troupes de la coalition de la Cédéao sont reparties sur Dakar et nous avons fait maintenir 500 pour trois mois – 50 du Ghana, 200 venant du Nigeria et 250 venant du Sénégal – et dont la Cédéao prend la direction et après nous allons voir. Mais il faudrait reformer la défense - l’armée gambienne - dans la mesure où toute l’armée était constituée uniquement des soldats qui sont de l’ethnie de Yahya Jammeh et donc ça ne nous sécurise pas.
Et nous allons instaurer un système de rapport mensuel pour suivre de très près comment la sécurisation continue. Jusqu’à présent, on découvre toujours des dépôts d’armes à des endroits surtout dans les zones de Kanilaï. Et donc il va falloir sécuriser entièrement Banjul, voir la quantité d’armes qui a été découverte à State House – c’est-à-dire la présidence – où allons-nous mettre ces armes ? Et donc nous allons en discuter avec le ministre de la Défense qui a été nommé et ensuite voir comment les aider pour avoir un dépôt digne de ce nom pour sécuriser ces armes.
Votre force de la Cédéao peut rester jusqu’à quand ?
Nous avons dit trois mois et puis nous allons faire les évaluations. Parce que l’intérêt là-bas, c’est que l’armée gambienne a très bien accueilli les forces de la coalition de la Cédéao et donc il y a eu une sorte de pacte entre nos forces et l’armée gambienne. Donc on s’est dit : nous allons mettre quelques forces pour sécuriser les institutions, protéger le chef de l’Etat, les ministres et sécuriser le port, l’aéroport et ainsi de suite et au bout de trois mois, on va évaluer pour voir où nous en sommes. S’il faut continuer, on pourra prolonger encore de trois mois. Mais ça coûte cher, très cher.
Et au-delà, est-ce que l’armée sénégalaise pourrait prendre le relais ?
Ça dépend des accords qu’il peut y avoir entre le Sénégal et la Gambie. Tout ce que nous souhaitons, c’est qu’il y ait un accord de partenariat pour que vraiment au niveau de l’espace Cédéao nous ayons la paix.
Vous parlez de ce fief de Kanilaï, l’ancien fief de Yahya Jammeh où il reste beaucoup d’armes et puis, il faut le dire, beaucoup de nostalgiques de l’ancien régime. Est-ce que vous ne craignez pas une tentative de putsch de ces nostalgiques un peu comme ce qui s’est passé au Burkina en septembre 2015 ?
Non, la tentative de putsch est impossible, dans la mesure où nous avons les « Standby Forces », c’est-à-dire les forces de la coalition qui sont 500 et qui sont sur place.
Le 21 janvier dernier, c’est au terme d’une déclaration de l’ONU, de l’Union africaine et de vous-même - la Cédéao - que le président Yahya Jammeh a enfin accepté de partir. Mais cette déclaration, vous ne l’avez pas signée formellement ! Quelle est sa valeur juridique ?
Disons que le président Yahya Jammeh au dernier moment a voulu négocier un certain nombre d’avantages et surtout des amnisties. Or, aucun pays – ni les Nations unies ni la Cédéao ni l’Union africaine – n’est habilité pour accorder les amnisties à quelqu’un qui a régné pendant vingt-deux ans et qui certainement n’a pas les mains propres. Et donc rigoureusement, il ne relève pas de notre mandat d’accorder des amnisties. Mais comme il a posé le problème, vous voyez bien le ton qui a été mis. On a dit : nous allons travailler pour. Et donc, rigoureusement, les Nations unies ne l’ont pas adopté. La Cédéao non plus. L’Union africaine non plus.
Vous n’avez rien signé en pratique?
On n’a rien signé. Et on ne signera pas, dans la mesure où c’est seul le Parlement, c’est-à-dire l’Assemblée gambienne, qui peut accorder des amnisties, faire voter des lois, etc. Il leur revient d’étudier et de voir dans quelles mesures, dans le cadre de la réconciliation nationale, ils pourront faire des efforts pour que vraiment il n’y ait pas de chasse aux sorcières.
Pas de chasse aux sorcières, mais tout de même, est-ce qu’un jour Yahya Jammeh devra rendre des comptes devant la justice ?
Mais si les gens portent plainte avec des éléments précis au niveau de la justice, pourquoi pas ? Il sera obligé de rendre compte. Quelle que soit l’amnistie qu’on va lui accorder, si ça ne vient pas du Parlement gambien et conformément à la Constitution gambienne, il aura à rendre compte. Vous subissez des préjudices. Si vous avez des éléments bien précis, vous pouvez lui intenter le procès et bon… Voilà !
Donc pas d’immunité ?
Il n’y a pas d’immunité à notre sens. C’est seul le Parlement gambien qui peut accorder ces immunités-là.
En Guinée-Bissau, c’est le blocage politique. Malgré l’accord de Conakry, le président refuse de nommer un Premier ministre de consensus. Du coup, le PAIGC accuse le président de manquer à sa parole. C’est vrai ou pas ?
C’est vrai, les accords de Conakry ne sont pas appliqués. A la dernière conférence des chefs d’Etat, le 17 décembre à Abuja, les chefs d’Etat ont dit à Mario Vaz - le président - d’aller appliquer l’accord de Conakry. Maintenant, nous sommes dans une situation de blocage et la situation devient complexe de plus en plus. Nous avons une stratégie que nous allons dérouler et on verra bien, pour mettre pression afin que les accords de Conakry soient appliqués. Mais à défaut, si on peut créer déjà un gouvernement d’union nationale et que le PAIGC adhère, mais pourquoi pas ? Mais tant que nous n’aurons pas un gouvernement de consensus, un gouvernement d’union nationale où les gens vont être préoccupés par la situation de leur pays, nous sommes bloqués.
Voilà deux ans et demi que les forces de la Cédéao de l’Ecomib stationnent en Guinée-Bissau. Est-ce qu’il ne va pas falloir les retirer justement pour faire pression sur le président ?
Justement, ça fait partie des stratégies, puisque les chefs d’Etat et du gouvernement m’ont donné des instructions en disant qu’à partir du mois d’avril, on peut commencer à démobiliser Ecomib. Aujourd’hui, nous avons 543 soldats qui nous coûtent cher, que nous entretenons. Même les camps, c’est nous qui les louons, les patrouilles, c’est nous qui les organisons. Nous ne pouvons pas continuer éternellement à assister le pays. Et donc nous pensons que nous allons commencer la démobilisation, conformément aux instructions des chefs d’Etat au mois d’avril et nous verrons comment la situation va se passer.
Deux mois après le retour du Maroc dans l’Union africaine le royaume veut adhérer à la Cédéao comme membre à part entière. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Nous allons mettre au point une commission paritaire pour que dans un mois et demi nous puissions signer un accord de partenariat économique déclarant le Maroc comme un associé privilégié. Il ne sera pas astreint comme un membre parce que le problème, c’est que nous allons nous heurter au texte de l’Union africaine qui a divisé le continent en cinq régions comme Commission économique régionale. Le roi dit où s’arrête l’Ouest ? Alors faut-il prolonger l’ouest jusqu’au nord ? Nous allons soumettre la décision aux chefs d’Etat qui prendront la décision. Ce qui est certain, nous pouvons entretenir de très bons rapports avec le Maroc, puisque comme vous le savez, Attijari Bank est présente dans presque tous nos pays, la Banque marocaine du commerce extérieur y est, le groupe BOA sont actionnaires majoritaires actuellement. Et nous avons beaucoup d’entreprises qui organisent pour les infrastructures. Et ils sont présents.... suite de l'article sur RFI