Ce mardi, les élus du peuple reprendront le chemin de l’hémicycle depuis leurs vacances de fin d’année dernière. A cette première session parlementaire de l’année, plusieurs dossiers chauds seront débattus. Une étape décisive sera franchie vers l’accélération du processus de décentralisation. Mais dans le bon sens ?
Le pouvoir n’attend que la rentrée parlementaire pour faire passer ses deux lois sur la commune et celle sur la Céni, afin de propulser le processus sur l’organisation d’élections locales prévues, en principe, pour 2018. Voilà donc deux gros dossiers qui vont encore déchainer les tensions à l’Assemblée nationale mais aussi au sein de l’opinion, puisqu’à terme, leurs traitements devront déterminer les bases d’une décentralisation réussie ou sapée.
Le débat autour de ces deux dossiers a même déjà commencé entre certaine formations politiques représentées au Parlement. Plusieurs organisations de la société civile avaient pris l’initiative de convier les parlementaires à un débat autour de l’évolution du processus le mercredi dernier. Toutes les parties étaient représentée (y compris le député indépendant SanbiriTargone), sauf la majorité Unir dont les 14 sièges étaient restés vides. Et pourtant, selon les organisateurs, ils avaient, jusqu’à la veille, donné leur accord. Leur présence aurait enrichi davantage les discussions qui, au demeurant, furent très intéressantes, malgré tout.
Cette absence injustifiée et finalement méprisante de l’Unir dans un débat sur un processus qui engage toute la Nation mais par rapport auquel il s’apprête à poser des actes hautement décisifs, est l’illustration parfaite de l’état d’esprit d’arrogance qui caractérise ceux qui gouvernent le pays.
« Selon le ministre de l’Administration territoriale, Payadowa Boukpessi, les députés devraient examiner plusieurs textes relatifs à la création des communes, au transfert de compétences aux collectivités territoriales et à l’intercommunalité », a annoncé samedi republicoftogo.com, le site de propagande du pouvoir. C’est la première fois qu’une information sur ces projets de lois est rendue (presque) officielle. Puisque toutes les autres forces représentées à l‘Assemblée ignoraient jusque-là ce que projetaient l’Exécutif et sa majorité. Maintenant que l’information est lâchée sur une plateforme introduite dans le système, on est bien en droit de se poser des questions. Quel est le degré d’appropriation ou de légitimité des décisions que le pouvoir s’apprête à prendre au nom des Togolais?
Selon la Loi sur Décentralisation toujours en vigueur et votée en 2007, seuls les chefs-lieux de préfecture sont considérés comme communes (urbaines). Logiquement, le Togo devrait disposer, à ce jour, de 39 communes (urbaines) si on devrait y intégrer les quatre dernières préfectures (Naki-Est, Oti Sud, Mô et Agoè). Cependant, 18 ne sont pas fonctionnelles et 21 seulement sont opérationnelles. Mais avec le projet de loi que le gouvernement s’apprête à introduire à l’Assemblée nationale, le nombre des communes risque d’exploser. Des indiscrétions font état de plus de 110 communes, voire près de 150.
Justement il est impossible de savoir de combien de communes le pouvoir s’apprête à doter le Togo et les critères sur la base desquels elles seront créées. L’information est gardée comme secret d’Etat par le régime. Et pourtant dans quelques jours ou semaines, cela sera voté à l’Assemblée comme loi de la République, et donc va engager les Togolais, surtout obliger des populations à de nouvelles cohabitations. Contrairement à ce qui est prévu actuellement par le législateur, tous les périmètres du pays risquent d’être communalisés, y compris les localités rurales. Ce qui suppose que des cantons et villages vont devoir se mettre ensemble pour former des communes. Mais sur quel critère tel village doit-il se lier à tel autre à l’Est et non à tel autre à l’Ouest ? Personne ne sait encore, en dehors de ceux qui conservent les informations comme des secrets d’Etat autour de Faure Gnassingbé. Et pourtant ce sont là des questions très importantes et hyper délicates qui risquent de ressusciter de vieilles rancœurs qui existaient au sein des communautés. On fait semblant de l’ignorer, mais le Togo est assis sur une véritable poudrière du fait des tensions intercommunautaires, jusqu’ici non réglées mais étouffées, liées à la gestion et à la possession foncière, à la chefferie traditionnelle ou à d’autres soucis de cohabitation entre autochtones et allogènes. Et la manipulation hasardeuse des questions de création de nouvelles communes pourrait jouer un effet détonateur de l’embrasement du pays et/ou achever tout ce qui y reste encore de vivre ensemble.
Au Bénin à côté, le projet de modification constitutionnelle est même vendu dans la rue pour permettre à tous ceux qui s’y intéressent de s’en procurer en vue de pouvoir éventuellement contribuer au débat public en cours. Au Togo, les tenants du pouvoir font entourer le processus d’une arrogante opacité et se refusent même à tout débat contradictoire avec les autres composantes de la société. Il est vrai que c’est une habitude du pouvoir de ne jamais chercher à consulter les citoyens en vue de prendre en compte leurs aspirations. Mais 30 ans après les dernières élections locales au Togo, s’il faut enfin les organiser, on ne peut plus faire économie d’un minimum de légitimité autour du processus devant y conduire. C’est pourtant ce qui se dessine encore sous nos yeux. Et tout à l’air d’un chantage du pouvoir qui pourrait se présenter en ces termes : « Si vous voulez les locales, ce sera uniquement sous mes conditions, à moi et à moi seul ».
Par ailleurs le gouvernement crée « un Conseil national de suivi de la décentralisation (CNSD) chargé de fixer les orientations et de veiller à leur cohérence avec les autres politiques sectorielles, de proposer des mesures adéquates pour améliorer le processus, de définir les mécanismes de coordination des appuis des partenaires techniques et financiers, enfin de procéder à l’évaluation de la mise en œuvre de la décentralisation ». Naturellement, il le bourre de ses adeptes qui forment une majorité écrasante et réserve la portion congrue à l’opposition. Mais en se comportant ainsi, le pouvoir jette les bases d’une sorte d’instabilité dans le processus de décentralisation dans notre pays. Puisque si les décisions sont prises sur des critères purement subjectifs et en fonction des intérêts partisans, elles n’auront pas longue vie. Le jour où une autre formation politique prendrait le pouvoir, tout pourrait être remis en cause.
Pour un processus qui est censé déboucher sur un épanouissement des collectivités locales, une meilleure appropriation des questions de développement par les communautés, une seule entité politique ne peut, là encore, imposer tous ses caprices au reste de la population. C’est là qu’il revient comme un devoir aux autres partis politiques, à la société civile, et surtout aux partenaires du Togo, de s’organiser pour réclamer un minimum d’ouverture et de transparence dans le processus. Ce dont il s’agit n’est pas de demander au pouvoir de faire la part belle à l’opposition ou de lui garantir quelques intérêts; mais de faire, pour une fois, du processus une dynamique légitime dans laquelle se reconnaitront la majorité des Togolais puisqu’ayant participé de bout en bout à sa mise en œuvre. Le débat doit dépasser les cadres partisans pour revêtir tout simplement un manteau neutre afin que seuls les intérêts des citoyens et des collectivités soient préservés. Autrement, le chaos n’est pas loin !