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Interview/«Emmanuel Macron devra regarder l’Afrique comme elle est aujourd’hui et pressentir ce qu’elle sera demain» (K. Yamgnane)
Publié le vendredi 12 mai 2017  |  aLome.com


© Autre presse par DR
Martin Kofi Yamgnane, politique socialiste franco-togolais


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Ancien Secrétaire d’Etat sous François Mitterrand en charge de l’Intégration de 1991 à 1993, ex-Conseiller régional de la Bretagne de 1992 à 1997, et député socialiste du Finistère de 1997 à 2002, Martin Kofi Yamgnane est un observateur averti des sociétés française et africaines. Suite et fin du long entretien qu’il a accordé à «aLome.com». Dans cette seconde partie, ce politique Franco-Togolais dresse le bilan du mandat de François Hollande, parle de l’extrémisme politique en Occident et de l’avenir des relations entre la France et l’Afrique sous le Président Macron.






Quelle lecture faites-vous de la montée en puissance de l’extrémisme politique en Europe et dans le monde occidental ces dernières années?




(…) En réalité, il y a déjà des années que les idées simplistes d'exclusion du FN ont infusé la société française. Quand un Français au chômage, en charge d'une famille à nourrir, soigner et former, est devant son poste TV où il voit un démagogue beugler que le seul responsable de sa situation, c'est l'immigré; quand un grand responsable politique dénonce «les bruits et l'odeur» des immigrés; quand le même responsable politique décrit un immigré père de famille, vivant avec 3 ou 4 femmes, une pléthore d'enfants et qui touche 6.000€ par mois sans travailler… Ce malheureux Français devant son poste TV reçoit ce discours comme la vérité, et bien entendu ne voit plus dans l'immigré qu'un ennemi à abattre. C'est sur ce terreau de mensonges et d'approximations racistes que le FN a poussé. La « lepénisation» des esprits français est désormais bien à l'oeuvre en France.
Ce qui est vrai en France l'est aussi en Allemagne ou en Autriche, comme en Pologne ou aux États-Unis de Donald Trump... La recherche du bouc émissaire responsable de tous les maux!

Principale cheville ouvrière de l’exportation et de l’internationalisation du français dans le monde, l’Afrique en général, et singulièrement l’Afrique subsaharienne, ont été quasiment absentes du débat de la présidentielle française 2017. Comment avez-vous vécu cet état de chose ? Qu’est-ce qui le justifie?




C'est exact que c'est l'Afrique francophone qui porte essentiellement la langue et la culture françaises; c'est l'Afrique francophone qui donne son poids à la France dans les instances internationales comme l'ONU; c'est l'Afrique francophone qui fait survivre le nom même de la monnaie française: le franc!
On peut donc s'étonner que l'Afrique soit toujours si absente des débats électoraux français. Mais cela ne peut m'étonner: l'Afrique n'est pas un sujet porteur en France et le candidat qui s'y appesantirait n'en tirerait aucun bénéfice en terme de voix. Il convient de vous dire la vraie vérité: les Français «n'ont rien à cirer» de l'Afrique qu'ils ne voient que comme un continent à problèmes, le continent de tous les excès: excès de violences, excès de climat, excès de démographie, excès d'émigration...etc.
J'ai même assisté à un cours universitaire destiné à des jeunes Français en École de Commerce où le professeur disait: «Partez à la conquête du monde; investissez la Chine, l'Inde, les USA, le Japon, le Brésil...etc., mais surtout oubliez l'Afrique! Nous y sommes»!

Vous avez été le «Monsieur Afrique» de la campagne de François Hollande en 2012. Après son élection à l’Elysée, on ne vous a plus vu à l’œuvre !! Qu’est-ce qui explique ce subit effacement de votre part?




Oui, en ma qualité de militant et de responsable socialiste, c'était mon devoir de donner à notre candidat ce que je pensais être utile à une politique africaine renouvelée de la France où tout le monde serait gagnant.
Je l'ai fait avec beaucoup de bonheur. Lorsqu'ensuite je me suis rendu compte que François Hollande partait en sens complètement inverse de ce sur quoi nous nous étions mis d'accord, j'ai préféré ne pas participer à une politique que je ne pouvais que désapprouver. La simple honnêteté me dictait de m'effacer.

Intervention au Mali en 2013, discours musclé à l’égard de Joseph Kabila à la faveur d’un Sommet de la Francophonie à Kinshasa, impuissance de l’Elysée devant le sort des élections contestées au Gabon et au Congo, etc. Quel bilan dressez-vous de la politique africaine du PS sous François Hollande? Que devra-t-on nécessairement améliorer dans cette politique sous Emmanuel Macron?




Au total, le bilan de la politique africaine de Hollande n'est pas brillant car il ne s'est pas engagé sur la voie de la sagesse et du respect réciproque annoncée. Son intervention militaire dans le massif des Iffogas a été un succès tout relatif à confirmer: veut-il rester ad vitam aeternam au Mali pour en assurer l'unité et la stabilité? Que va-t-il se passer le jour où l'armée française aura décidé de tourner le dos?
Pour ce qui est du rétablissement de la paix en République centrafricaine, elle s’avère beaucoup plus complexe par l’implication de la population civile. Mieux, il a autorisé une multiplication incompréhensible des bases militaires françaises dans le Sahel, d’Atar en Mauritanie à Faya Largeau et Zouar au Tchad, en passant par Tessalit et Gao, au Mali. Et il n'est pas exclu que plusieurs autres postes soient créés plus au nord, en bordure des frontières libyennes (…) Cette présence française renforcée, diamétralement opposée à ce que nous avions dit pendant la campagne de 2012, fait peser sur les pouvoirs africains une pression diplomatique et militaire déterminante. Mais dans quelle intention et pour quel objectif?
C'est tout cela qui doit changer: Président de la République française, Emmanuel Macron doit tourner définitivement la page de la colonisation, en finir avec les formes plus ou moins subtiles du paternalisme néo-colonial, regarder l'Afrique comme elle est aujourd'hui et pressentir ce qu'elle sera demain, s'appuyer sur les forces qui feront l'Afrique de demain: étudiants, jeunes entrepreneurs, diasporas, chômeurs diplômés, artistes...

Le rajeunissement en cours de la classe politique en France et en Europe en général pourrait-il déteindre à court terme sur l’Afrique francophone dans laquelle un grand nombre de chefs d’Etat ont la culture de la longévité au pouvoir? Comment accélérer cette donne?




Ce qui caractérise la démocratie en France et en Europe face aux régimes politiques africains, ce n'est pas tant le rajeunissement de leur classe politique; c'est plutôt l'alternance elle-même, car la jeunesse n'est pas en soi une garantie de démocratie. Ce que je reproche aux gouvernants africains, c'est leur atavisme à vouloir s'éterniser au pouvoir alors même que le monde entier bouge autour d'eux. Je souhaiterais qu'ils comprennent qu'un seul parti, un seul individu ne peut pas pendant 20, 30, 40...ans, se lever tous les matins avec des idées nouvelles pour son pays et pour son peuple. C'est une imposture à laquelle les pays africains doivent mettre rapidement fin, s'ils ne veulent pas faire sombrer à jamais leurs pays. Personne ne peut «accélérer cette donne» en dehors des peuples africains eux-mêmes: la balle a toujours été dans leurs camps.

Au cours des 50 ans prochaines années, l’Afrique, contrairement aux autres continents du monde, aura une population davantage rajeunie. Quel langage de vérité et quelle politique gagnant-gagnant le prochain Président français doit-il adopter à l’égard de ce «réservoir humain» qui constitue à la fois un défi et une opportunité pour la France?



La question essentielle aujourd’hui est celle de la construction d’un nouveau mode d'échange entre la France et le continent africain tel qu’il apparaît dans sa globalité et dans sa diversité. Car l’Afrique c’est :
- 1 milliard de nouveaux habitants dans 40 ans (dont 50% de moins de 25 ans),
- 700 millions de nouveaux actifs (alors même que l’Europe en perdra 90 millions),
- un impact écologique qui va doubler (après avoir augmentée de 240% en 50 ans) et un potentiel de 326 millions de consommateurs.
L’Afrique, c’est aussi: 400 millions de personnes qui vivent avec moins de 1,25 dollars par jour, un manque criant d’infrastructures et de stabilité, une espérance de vie inférieure de 24 ans à celle des pays de l’OCDE et une industrialisation qui ne représente que 11% de la production alors même qu’elle est de 31% en Asie du Sud-Est. En même temps, le décollage économique africain représente une nouvelle donne. En bref, l’Afrique est devenue un enjeu vital, non seulement pour la France, mais aussi pour l’Europe et pour le monde. En effet, la politique africaine de la France a évolué plus lentement que l’Afrique elle-même, ce qui n'est pas peu dire. Si elle veut être partie intégrante des relations avec l’Afrique, et se repositionner après un recul sans précédent, la France doit mettre en place une nouvelle stratégie: participer au développement africain et saisir l’opportunité de la croissance africaine.


Et pour cela, il faut favoriser la participation des diasporas africaines à la construction d’une nouvelle Afrique-France, à l’opposé de la françafrique. Oui, la croissance africaine existe: elle n’est pas linéaire, elle est mal répartie, elle est injuste, mais elle existe et la France et l'Europe, doivent en prendre conscience.



La France sous la Vème République n’arrive toujours pas à offrir un meilleur traitement à ses DOM-TOM vus du continent noir comme un «prolongement démographique historique» de l’Afrique. Le cas de la Guyane est un exemple palpable de cette situation ces derniers mois. Jusqu’à quand les DOM-TOM vont-ils bénéficier d’un développement de seconde zone ou au rabais en France?

Oui, les DOM-TOM constituent encore aujourd'hui l'épine douloureuse dans le pied de la France, qui l'empêche de marcher d'un pas plus régulier et davantage en harmonie avec les valeurs républicaines dont elle se réclame depuis 1789. Le déséquilibre en matière d'investissements entre les DOM-TOM et «la Métropole», la différence de traitement entre les ressortissants des DOM-TOM et les ressortissants métropolitains en France même, sont autant de signes inquiétants d'un colonialisme rampant réel mais laborieusement nié par les dirigeants français.
Il est vrai que pour les jeunesses africaines, ces DOM-TOM ne sont rien d'autre que «le prolongement démographique historique» de notre continent. Si la France veut à nouveau être regardée comme la source des valeurs républicaines, elle doit changer son regard sur ses DOM-TOM, ce qui implique le même changement de regard sur le continent-mère. En ce sens, le choix du développement égalitaire des DOM-TOM et de la Métropole est une absolue urgence pour le nouveau pouvoir en France.



Interview réalisée par Edem Gadegbeku

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