A la tête de la compagnie Elf, Loïk Le Floch-Prigent a été, il y a 25 ans, au coeur du plus grand système de corruption de l'histoire de la Françafrique. Plus récemment, en 2012-2013, il a passé cinq mois dans une prison togolaise. Aujourd'hui, il témoigne dans «—Carnets de route d'un Africain—», aux éditions Elytel.
Loïk Le Floch-Prigent, comme PDG du groupe Elf au début des années 90, vous avez négocié plusieurs contrats pétroliers et vous dites que le seul président africain qui ne vous a pas demandé d’enveloppe à l’époque pour lui-même c’est le Tchadien Idriss Déby.
Loïk Le Floch-Prigent : Absolument, oui. C’est une histoire absolument incroyable, puisque je suis venu négocier chez Idriss Déby au bénéfice d’Elf et lorsque j’ai demandé dans quelles conditions, le président Déby m’a dit : « Ecoutez, en bonus d’entrée est-ce que vous pourrez verser un million de dollars au trésor tchadien ? ». Et j’ai dit : « rien de plus ? ». Il m’a dit : « rien de plus ». Et c’est la première fois et la seule fois que ceci m’est arrivé.
Ce qui veut dire que les autres présidents de pays pétroliers que vous avez fréquentés – au Cameroun, au Congo Brazzaville, en Angola, au Gabon, en Guinée équatoriale – eux, ils voulaient un bonus pour eux-mêmes ?
Oui. Je crois que ce n’est un secret pour personne. D’ailleurs tout le monde sait que le Nigeria, l’Angola, le Congo Brazzaville… Tous ces pays sont corrompus et donc les premiers corrompus sont les présidents de ces Etats.
Et alors cet argent qu’ils vous réclamaient vous le versiez sous quelle forme ?
Dans les comptes offshore. Ça se passe très bien et sans difficulté. Ça continue à se faire d’ailleurs.
En fait ce sont des virements bancaires.
Mais bien sûr.
Vous saluez donc ce geste d’honnêteté d’Idriss Déby, mais quelques pages plus loin vous dites : « Qui a fait de ce général, jadis grand patriote et soucieux de bien faire, un despote accroché au pouvoir au Tchad depuis 1990 ? »
Oui, c’est dans le chapitre où je dis : « Que sont mes amis devenus ? » C’est-à-dire qu’effectivement, j’ai rencontré beaucoup de chefs d’Etat qui avaient envie de bien faire et puis avec les ans, avec les familles, avec les cireurs de « godasses », ils sont devenus aussi corrompus que les autres. Et c’est terrible parce que beaucoup de gens parmi ceux-là, je les ai aimés en tant que chefs d’Etat. J’ai compris qu’ils avaient envie de bien faire. Et c’est de pire en pire et la situation est de plus en plus explosive.
Il y a un chef d’Etat africain que vous avez bien aimé lors de votre première rencontre avec lui – dans un grand hôtel parisien dans les années 90 – c’est le Congolais Denis Sassou Nguesso. Mais vous dites que depuis l’accident de Mpila, cette fameuse explosion en mars 2012, il ne supporte plus la contradiction, y compris de votre part.
Il est clair qu’il ne supporte pas la contradiction. C’est-à-dire que le fait d’avoir cette explosion près de chez lui l’a conduit à penser que c’était un attentat. S’il y avait eu attentat, il y aurait peut-être eu attentat chez lui et non pas forcément à l’endroit où il y avait les réserves d’armes. Il se méfie de tout le monde et surtout des gens qui le contredisent. Je reconnais que je suis probablement un de ceux qui le contredisent le plus.... suite de l'article sur RFI